Internet a fait de nous des orphelins. TUMBLR nous a baisé le cerveau. Sabine Audelin nous plonge dans le cœur d’une génération de bouffeur d’images. Lana Del Rey en boucle, eyeliner épais, chokers, tests psycho toxiques, GIFs suicidaires sur lesquels on se branle et fantasmes hardcore pixellisés. Bienvenue dans l’œil d’une jeunesse qui ne fait que passer. Qui observe, seule, dans la nuit, en rêvant d’être remarquée.
#THIS IS SO ME #fuck
sur tumblr, tout est trop moi. je fragmente mon identité en pièces de micro-blogging.
je suis en GIFs, en codes HTML, en fandoms d’ados tristes.
welcome to redacted dot tumblr dot com, playground des enfants chouineurs.
j’ai 13 ans but i’m so much more than that. les one direction disent que je suis belle, lana del rey chante sa chatte au goût de pepsi cola.
je me connecte tous les soirs. le dashboard me propose des edits de zayn malik et des vidéos de virgin suicides. je like, je reblog. tumblr, c’est une affaire de flair. you either get it or you don’t. je bave d’être une it-girl, une alexa chung, une chloë sevigny.
j’aurai la gueule inoubliable™ et une tennis skirt american apparel. just wait and see. en attendant, j’imite maladroitement la tumblr girl de mes photos préférées. je porte un choker noir qui me scie le cou et une paire de doc martens glossy. je me lève tôt pour tracer un trait de liner extra épais et appliquer une tartine de liquid lipstick mat sur mes lèvres. j’entre en 4ème B. je suis une star, un demi-dieu, tout le monde est stupide. #godcomplex
tumblr est une variante du tumblelog, un mini blog court ou un journal de bord en accéléré.
ça va trop vite et des millions de globes oculaires se pressent devant les mêmes images. l’esthétique tumblr cultive l’indie sleaze et le soft grunge, un spleen adolescent teinté d’anxiété sociale. david karp, le fondateur du site, l’assume : il a créé une plateforme pour tout voir. des make-up charbonneux d’effy stonem, des GIFs de porn, des poignets scarifiés, des chats, des adolescentes très maigres, des reprises de riptide au ukulele, des poèmes larmoyants en textpost. teenage-scopophilie, j’ai les pupilles voraces.
j’emmagasine : les films de david lynch, la musique de mazzy star, la poésie de sylvia plath.
tumblr a fait de moi son petit monstre, son enfant d’internet. je gobe, je recrache, je partage des références terminally online. je suis complètement brain-fried par les anglicismes et la joie d’être une fangirl.
plus je scrute et plus je grouille. j’ai des tentacules de pieuvres dans le bas-ventre.
je parle à des filles américaines et je leur demande comment elles ont rencontré leur girlfriend. mes grandes sœurs numériques me rassurent. your time will come.
je parle à des hommes américains et ils me disent de faire un test. le test pose des questions sur la douleur. le test demande si j’aime voir les larmes couler sur mes joues après l’avoir fait. i have never ever done the deed but it triggers something in me, the urge to FEEL. vite vite vite, je grandis vite on the internet. je parle en anglais, i shapeshift. je lis du smut en frottant mon entrejambe au bras du canapé. tumblr dévore mon cerveau en développement. 13 ans, pic de matière grise dans le cortex préfrontal. le docteur me dit de passer moins de temps sur l’ordinateur. le docteur est un vieux crouton avec un téléphone filaire. j’ai l’impression d’être si différente.
sur tumblr, we all feel #so #different.
IRL, nous sommes chiants, moches et archi prétentieux. nous jouons aux mini adultes.
le dashcon est la preuve de notre bêtise : une convention ratée pour utilisateurs de tumblr. l’événement organisé par une ado de 17 ans est un fiasco. les rares photos montrent un hangar désert, une piscine à balles, un château gonflable et quelques fans de superwholock.
le lore est révélateur : certaines choses ne doivent pas sortir d’internet.
tumblr a périclité à la fin des années 2010 mais les textpost sont bien vivants sur instagram ou reddit. nos memes ont fait votre internet. nous avons grandi avec vous, pour vous faire rire. la tumblr girl a vieilli, version ridicule quirky névrosée #coquettecore #femalerage. elle erre sur pinterest, écoute encore lizzy grant et a atteint l’âge légal pour se taper des vieillards et sniffer de la coke. c’est moins marrant.
grâce à tumblr, j’ai appris à me démultiplier, à suivre mon œil et à l’éduquer. je suis devenue curieuse. le slogan du site résume l’expérience : “Come for what you love. Stay for what you discover.” i stayed and i discovered. tumblr est éternel.
je continue de visiter mon cimetière virtuel. quelques irréductibles se retrouvent malgré le downfall de la plateforme. les pubs pour jeux gratuits sur téléphone ont envahi le dash et polluent désormais le partage de création. je scrolle sans conviction.
chaque like un bouquet de fleurs sur la tombe des 7 039 posts de mon blog.
mes users préférés ont déserté les lieux.
sylvia-plth a désactivé, communistcoppola a désactivé, kurt cobangs a désactivé et maintenant je ne peux plus changer mon code HTML.
mon tumblr est figé.
une version de moi-même qui regarde toujours tout
peeping tom 4ever
everything is still #SO ME #fuck
