Be Useful, Seven tools for life

Comment Arnold Schwarzenegger a changé ma vie 

CHRONIQUE. De quoi parle-t-on quand on parle du « pouvoir de la littérature » ? Tout un genre littéraire, le développement personnel, nous propose rien de moins que de changer notre vie en mieux en lisant ses livres, et depuis des années je trouve cette ambition un peu ridicule voire totalement délirante. Mais un auteur pour le moins surprenant va changer mon avis sur le sujet : Arnold Schwarzenegger, bodybuilder, acteur, homme politique… et depuis 2023 auteur de développement personnel.

Be Useful, Seven tools for life

Le 3 mai 2024, j’ai battu plusieurs records personnels. En nageant 1200 mètres en 2 minutes 51 au 100 mètres en moyenne, je n’ai jamais nagé aussi vite de ma vie. C’est aussi ma 46ᵉ session de sport depuis le début de l’année, c’est-à-dire autant de sessions en quatre mois que l’intégralité de l’année précédente.

2 minutes 51, ce n’est pas très impressionnant pour un nageur un tant soit peu chevronné. Ça l’est beaucoup plus pour moi, qui n’ai jamais progressé en sport, même après des années de natation : je suis très exactement 39 secondes plus rapide au cent mètres qu’au début de l’année. En fait, le sport, j’ai toujours détesté ça, comme beaucoup d’intellos dont le bulletin scolaire montre des notes excellentes partout sauf en EPS. La dernière choisie en compétition de volley-ball, je me la coltine dans un coin de ma tête, malgré la vingtaine révolue.

Quel est mon secret, me demandez-vous ? La lecture de Be Useful, Seven tools for life, le livre mi-mémoire, mi-développement personnel d’Arnold Schwarzenegger. Je l’ai lu en décembre 2023 pour mon podcast Torchon, un podcast où on lit sérieusement des livres que peu de monde prend au sérieux. Ceci dit, Schwarzi c’est du sérieux pour mon ami Pierre, un jeune homme qui m’impressionne par sa confiance en lui, sa bonhommie et sa force de travail. Un tel homme ayant un tel héros, j’avais peut-être deux trois choses à apprendre de ces colosses de masculinité. J’ai donc momentanément arrêté de lire ma littérature féministe et mes livres sur des Russes nihilistes, malingres et torturés pour essayer autre chose. 

https://podcast.ausha.co/torchon/be-useful-arnold-schwarzenegger

L’ethos de l’homme accompli

Déjà, on a tendance à réduire Arnold à quelques-uns de ses personnages de film d’action un peu bas du front, et on a tort. C’est un homme qui s’est transformé à trois reprises, et qui a excellé dans chaque rôle. D’abord, le bodybuilder autrichien qui gagne tout ce qu’il y a à gagner dans sa profession et qui arrive à populariser un sport bien souvent tourné en ridicule, encore aujourd’hui. Ensuite, Terminator, je ne le présente pas, mais je pense qu’on n’envisage plus tellement aujourd’hui la difficulté d’un culturiste autrichien à la coupe de cheveux questionnable à décrocher un tel rôle. Et enfin, le plus impressionnant à mon avis, sa troisième carrière de gouverneur de Californie. 

Qui pourrait se vanter d’une telle versatilité, et d’un tel succès dans chaque carrière ? Eh bien, pas beaucoup d’auteurs de développement personnel. La plupart de ces auteurs n’ont d’ailleurs souvent rien fait d’autre de significatifs à part… écrire des livres de développement personnel. Mark Manson, l’auteur de L’art subtil de s’en foutre, a lancé son blog de conseils directement après ses études. James Clear (Atomic habits ou Un rien peut tout changer) a vaguement été coach sportif avant de lancer, lui aussi, un blog du même genre. En France, l’autrice et médium Natacha Calestrémé (La Clé de votre énergie, déjà un million de lecteurs) a d’abord été journaliste et réalisatrice de documentaires… sur les médiums. En effet, ce sont avant tout des professionnels de l’écriture qui écrivent du développement personnel. Ils doivent donc puiser dans les pseudosciences, le new age ou les histoires inspirantes des autres pour convaincre. 

Ils sont là pour nous aider à devenir la meilleure version de nous-mêmes, mais le sont-ils vraiment eux-mêmes ? Avec Schwarzenegger, on a des preuves concrètes de son expertise et de ses vertus. Chacune de ses leçons, qui n’ont rien de révolutionnaire et qui sont de l’ordre du bon sens, est illustrée par au moins une dizaine d’histoires tirées de sa vie personnelle. Il passera d’ailleurs sous silence les moments les moins reluisants de sa vie, comme quand il a conçu, avec sa femme de ménage, un enfant dans le dos de son épouse. Mais l’écriture candide et familière permet d’entendre une petite voix à l’accent autrichien qui se grave dans la tête, pour me répéter, à chaque session de sport, ses conseils éculés : “work your ass off, Léa!” 

Repenser mon rapport à la douleur

Il y a évidemment des lacunes à cet argument d’autorité : en lisant Be Useful, on a l’impression qu’Arnold est fait d’un bois peu partagé avec le reste de notre espèce. Recevoir des conseils d’un superman peut paraître un peu contre-productif. Au début de son chapitre “Work you ass off”, ou, « casse-toi le cul à travailler », il nous dit « Je suis prêt à parier que vous et moi avons beaucoup en commun. » Dans la marge j’ai pu écrire un petit « lol pas vraiment ». Mais à la lecture du chapitre, on se rend compte que la différence entre l’auteur et nous, le commun des mortels, n’est pas tant sa masse musculaire que sa tolérance à la douleur. Arnold Schwarzenegger est capable d’endurer beaucoup de choses dans le cadre de ses ambitions : les entraînements sportifs, les échecs, les déconvenues, les blessures physiques ou d’ego, toutes ces choses qui peuvent nous faire abandonner… Une endurance tirée dans la philosophie de vie qui vient avec le culturisme. Car l’haltérophilie repose sur un entraînement qui recherche à la fois la douleur et la répétition, il faut répéter autant de fois possible un geste qui fait travailler le muscle, et la douleur devient le signal que le muscle travaille bel et bien. Pour citer le célèbre proverbe shadok : « si ça fait mal, c’est que ça fait du bien. » Et puis, comme le dit Pierre dans notre épisode : « Schopenhauer nous dit qu’on oscille entre la douleur et l’ennui, or lui, il choisit la douleur et l’ennui. » Bref, imiter Schwarzenegger, ce n’est pas se mettre à l’haltérophilie, mais bien se mettre à une haltérophilie mentale face aux efforts ou aux épreuves. 

Bref, imiter Schwarzenegger, ce n’est pas se mettre à l’haltérophilie, mais bien se mettre à une haltérophilie mentale face aux efforts ou aux épreuves. 

Cette leçon, qui paraît être une évidence pour beaucoup, je veux bien l’entendre, a eu comme effet de radicalement changer mon rapport à l’exercice physique. Je me suis rendu compte que je voyais cette douleur musculaire comme quelque chose de honteux et suspect. Honteux, car la douleur serait la preuve de ma nullité sportive (« attends, tu es déjà fatiguée ? »), et suspect, car forcément je vais me faire mal quelque part si je continue. À cela, Schwarzenegger répond qu’il faut faire de ma douleur mon amie : une messagère qui me montre la bonne direction. C’est une leçon très dangereuse pour les casse-cous et les masochistes, mais pour les souffreteux hypocondriaques comme moi, c’est révolutionnaire ! 

De l’égoïsme au collectif

Ce qui marque dans Be Useful, c’est le refus catégorique de Schwarzenegger d’être décrit comme un self-made-man. « J’ai cette règle. Tu peux m’appeler Schnitzel, tu peux m’appeler Termie, tu peux m’appeler Arnie, tu peux m’appeler Schwarzie, mais ne m’appelle jamais un self-made-man. » Le développement personnel, en tant que genre, donne cette impression très forte de pousser à l’égoïsme et à l’individualisme en cherchant à devenir la meilleure version de soi-même, et on attendrait de cet immigrant autrichien devenu gouverneur de Californie d’en faire de même. Mais les deux dernières leçons, « ferme ta bouche, ouvre ton esprit » et « brise tes miroirs », soulignent le goût de l’auteur pour remettre ses accomplissements dans un contexte plus large. Il a appris des autres et est devenu ce qu’il appelle lui-même « un homme de la renaissance », et en échange il donne en retour, certes à l’américaine, à coup de grands projets caritatifs. Mais son humilité reste rafraîchissante et parfois très surprenante. 

Le développement personnel est un genre littéraire qui se définit par son projet d’influence sur le lecteur.

Le développement personnel : la lecture en action

Schwarzenegger a sûrement écrit ce livre à l’aide d’un prête-plume qui a su retranscrire le verbe direct et naïf de ce héros moderne, mais je n’irais pas jusqu’à dire que le livre est un chef-d’œuvre. Il a des convictions à la sauce « quand on veut, on peut » qui peuvent être très agaçantes, sans parler des pages et des pages d’anecdotes sur le culturisme et l’haltérophilie. Mais le développement personnel est un genre littéraire qui se définit par son projet d’influence sur le lecteur. En lisant ce livre, vous deviendrez quelqu’un de meilleur, quelle que soit la définition que vous avez de « meilleur ». Plus sage, plus sportif, plus performant, plus heureux… L’écriture peut être médiocre, les conseils éculés, les preuves scientifiques derrière inexistantes, voire mensongères. Mais si la transformation est là, si le lecteur se retrouve changé en bien, alors il devient difficile de nier une valeur concrète au livre. C’est peut-être en cela que le développement personnel pourrait être défini : un livre dont la réception se placerait uniquement sur ses effets concrets et directs sur la vie du lecteur et ses prises de décision. Mes 2 minutes 51 donc. 

Cela étant dit, à la suite de cette lecture, je n’ai pas commencé à dévorer les livres de développement personnel en tout genre. Au contraire, la qualité de Be Useful vient du fait qu’il se distingue du reste : un auteur expérimenté mais terre-à-terre, une plume franche et naïve, une philosophie pratique simple, humble et surprenante. Arnold Schwarzenegger nous montre que même dans sa quatrième carrière de coach inspirant, il est capable d’exceller et de casser les codes du genre en même temps. Certains diront que c’est la lecture de Marc-Aurèle ou de Nietzsche qui a concrètement changé leur vie… Je peux maintenant dire qu’Arnold Schwarzenegger a changé la mienne. 

  • Be Useful, Seven tools for life, Arnold Schwarzenegger, Ebury Edge, 2023.

Publié

dans

par

Étiquettes :