Denis Grozdanovitch signe avec Une affaire de style un essai érudit où il explore la notion de style à travers un foisonnement de citations, de réflexions philosophiques et d’anecdotes personnelles. Entre Montaigne, Borges, Proust et Nietzsche, il compose une divagation savante aussi exigeante que jubilatoire. Ce livre s’adresse aux passionnés de littérature et de philosophie, curieux de redécouvrir la langue comme un jeu et une quête.

Ancien joueur de tennis, passionné d’échecs et érudit insatiable, Grozdanovitch nous offre ici un ouvrage foisonnant qui oscille entre essai, recueil de citations et méditation philosophique. À la manière d’un cabinet de curiosités littéraires, il convoque une pléiade d’écrivains, de penseurs et de poètes, de Montaigne à Borges, de Proust à Bergson, pour interroger cette notion insaisissable qu’est le style. Dès les premières pages, il annonce son ambition : explorer l’expression comme une « fleur de papier japonaise s’épanouissant dans le flot d’une rivière ».
Cette image traduit bien la dynamique du livre, qui se déploie par digressions, jeux d’esprit et observations personnelles.
Quand la pensée devient une danse
Grozdanovitch conjugue avec brio érudition et légèreté, érigeant la citation en art et la réflexion en passe d’armes. Ce procédé rappelle Montaigne et son goût pour les variations libres, tout en adoptant un ton plus joueur, proche de la désinvolture maîtrisée qui caractérise son Petit traité de désinvolture.
Grozdanovitch conjugue avec brio érudition et légèreté, érigeant la citation en art et la réflexion en passe d’armes.
Mais au-delà de la célébration de la forme littéraire, il interroge également les modes de pensée et les biais cognitifs qui façonnent notre perception du monde. En évoquant la phénoménologie husserlienne ou le scepticisme nietzschéen, il met en lumière l’influence de nos préjugés sur nos représentations mentales et notre manière de raisonner. Ce questionnement, entremêlé de souvenirs personnels, notamment ceux liés à sa pratique du tennis, confère à l’ouvrage une dimension introspective, où le style devient une façon de voir, de comprendre et d’interpréter la réalité.
« J’avais vite compris qu’il était crucial, avant un match de tennis, puisque c’était ma discipline, de se retrouver, lorsque c’était possible toutefois, non loin de l’adversaire en train de se préparer dans les vestiaires et d’observer avec attention son comportement : sa façon de parler à ses coéquipiers, de lacer ses chaussures de sport, sa nervosité éventuelle, la délicatesse ou la rudesse de ses gestes, etc. Ces informations minimales permettaient en effet d’anticiper assez sûrement son style de jeu, à savoir, par exemple, s’il était plutôt un défenseur qu’un attaquant », expose l’auteur.
Loin d’un traité aride sur la stylistique, Une affaire de style est avant tout un livre de plaisir, où la littérature devient un jeu, une aventure et une quête. Grozdanovitch manie l’humour avec finesse, glissant des anecdotes et des traits d’esprit qui rendent la lecture aussi divertissante qu’instructive.
Le vertige encyclopédique
Cependant, cette richesse a parfois son revers : l’accumulation de références et de citations peut donner une impression de dispersion. Le lecteur non averti pourrait se sentir perdu face à l’abondance de noms et de concepts, d’autant que l’auteur ne s’embarrasse pas toujours d’explications didactiques. Mais c’est aussi ce qui fait le charme de l’ouvrage : il exige une lecture active, une curiosité sans cesse en éveil, à l’image des auteurs qu’il convoque.
Cette œuvre largement spirituelle, déborde de références philosophiques. Un oncle un peu trop éméché lors d’un dîner, appelons-le Germano Pratin, y verrait sûrement une forme d’onanisme intellectuel. Et il n’aurait pas tout à fait tort.
Sous l’élégance du style et l’accumulation vertigineuse de références, on finit par se demander où tout cela nous mène. La construction semble obéir à la loi du hasard, sautant d’une citation à une autre comme un flâneur qui aurait oublié son plan de route. Et puis, entre deux digressions brillantes, on se retrouve face à des évidences sociologiques énoncées avec le sérieux d’un professeur de SES de terminale expliquant que la société façonne les individus.
Le livre interroge les modes de pensée et les biais cognitifs qui façonnent notre perception du monde.
Le style comme art de vivre
En somme, Une affaire de style est une œuvre faite pour les amoureux de littérature et de pensée, où le style n’est pas seulement affaire d’écriture, mais aussi de regard et d’attitude face au monde. Grozdanovitch s’inscrit dans la lignée des essayistes élégants et joueurs, dans un esprit qui rappelle parfois celui d’un Paul Valéry ou d’un Albert Thibaudet.
Un ouvrage aussi inspirant qu’amusant, qui donne envie de redécouvrir les auteurs cités et, surtout, de réfléchir au style comme un art de vivre. Mais aussi un livre qui pose une question plus large : jusqu’où peut-on aller dans l’accumulation de références sans perdre son lecteur ? Grozdanovitch semble choisir de ne pas trancher, laissant à chacun le soin de naviguer à sa guise dans cet océan de citations.
Parmi ses ouvrages marquants, on retrouve Le Génie de la bêtise, Dandys et Excentriques, les vertiges de la singularité (récompensé par le prix Saint-Simon), ainsi que La Vie rêvée du joueur d’échecs. Son dernier travail en date, La Gloire des petites choses, a été distingué par l’Académie française avec le prix Roland de Jouvenel.
- Une affaire de style, Denis Grozdanovitch, Éditions Grasset, janvier 2025.
- Crédit photo : ©Jean-Francois PAGA/Opale via Leemage.
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