Dimitri Kantcheloff

Dimitri Kantcheloff : les cocos flingueurs

Dans son deuxième roman publié chez Finitude, Dimitri Kantcheloff emprunte les codes du roman noir et du film de gangsters du début des années 80 avec une touche d’anticapitalisme et de rock’n’roll. Résultat, un livre drôle et percutant où les balles fusent, mais dans lequel les personnages descendent surtout des verres.

L’histoire commence par le licenciement de Victor Bromier, représentant en parapluies dans une entreprise qui bat de l’aile à cause de la concurrence chinoise. Dans la France de la fin des années 70, c’est une humiliation terrible en tant que mari et père de famille. Victor décide donc de le cacher à sa femme et de faire semblant d’aller au bureau tous les jours. 

Après quelques jours à profiter de cette liberté relative, il s’ennuie et finit par devenir un pilier de bar, noyant, comme tant d’autres avant et après lui, ses soucis dans l’alcool. À cette occasion, il fait la rencontre de Corine, jeune révolutionnaire anticapitaliste dont il va s’éprendre. Mais il y a un hic, elle ne lui fera l’amour qu’à condition qu’il lise La société du spectacle, de Guy Debord. 

« L’honnêteté nous oblige à dire qu’aux aurores, Victor n’était pas certain d’avoir saisi toutes les nuances et substances de la pensée de Guy Debord. Néanmoins, il tira de cette lecture une chose fondamentale : lui-même avait été jusqu’à ce jour le spectateur de sa propre vie. Il lui fallait admettre qu’il avait, depuis son enfance, respecté tous les préceptes du dogme libéral comme on suit les règles les plus absurdes d’une religion, sans jamais les remettre en question, se contentant de faire confiance à l’État, aux puissants et aux élites pour le guider sur la voie du progrès économique et social ». 

L’atmosphère visuelle et l’enchaînement des scènes rendent ce roman vivant et addictif.

Braquage de banque à la Echenoz

Alors que la pensée anticapitaliste gagne Victor, Corine est séduite. C’est le début d’une histoire d’amour chaotique. Ensemble, sur la bande son des titres des années 80, pas aussi mauvaise qu’on ne le pense, d’après l’auteur, qui, à la façon de Jean Echenoz, s’immisce dans le récit, ils vont commencer à braquer des banques pour venger le travailleur accablé par le système. Il est d’ailleurs intéressant de lire ce roman après Bristol de Jean Échenoz, pour constater l’influence évidente de l’auteur des éditions de Minuit sur Dimitri Kantcheloff. 

Chez ces deux auteurs, il y a un amour du cinéma et une volonté de s’amuser en littérature. Dimitri Kantcheloff y parvient avec brio, et à un rythme effréné. Les chapitres sont courts, l’action permanente. Il y a de nombreux personnages, avec un rôle bien défini et des retournements de situation, certes attendus, mais incontournables et surtout réussis. D’ailleurs, la vie de bandits antisystème n’est pas simple. Et, après quelques braquages rondement menés, Victor commence à perdre la tête. Ses vieilles habitudes bourgeoises le rattrapent et l’idée de s’acheter une voiture de sport ou une montre de luxe. 

Tout bascule un soir d’orage (forcément), dans une scène typique du genre. Sans trop en dire, les choses tournent mal et Victor et Corine doivent prendre la fuite. Après quelques escales entre l’Ardèche et Biarritz, arrosés d’une quantité d’alcool à remplir le réservoir d’un long courrier, nos deux fuyards se retrouvent confrontés à l’ultime épreuve avant de pouvoir filer à l’anglaise en Espagne : braquer un casino avec l’excentrique Échampard. 

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Criminel, mais dandy avant tout

« Échampard prit une gorgée de liqueur et la parole, s’épancha avec satisfaction sur son propre cas, et plus particulièrement sur son parcours dans les affaires. Après différentes déconvenues de jeunesse dans l’entrepreneuriat, il s’était spécialisé, dit-il, dans le rachat d’entreprises en dépôt de bilan. La stratégie qu’il avait mise au point […] inspira nombre d’industriels et fit sa fortune. De quoi, en tout cas s’en vantait-il, se la couler douce pour plusieurs générations. Mais quand d’autres se servaient de leurs millions pour racheter une équipe cycliste, un voilier de course ou un club de foot, voire les trois, lui avait préféré se consacrer au banditisme. » 

Bandit dandy aux ressources illimités, Échampard met à disposition son manoir, son majordome/homme de main/partenaire de jeu, et l’arsenal que tout homme de son genre se doit de posséder. Et alors que le casse approche, chacun s’équipe comme il se doit : « On se servit selon ses préférences, qui un Walther PPK, qui un Beretta 92, et puis chacun eut droit à sa propre grenade, au cas où. » Dans ce genre d’histoire, un peu comme dans les films de Ventura, le spectateur (ou lecteur) sait par avance que cela va mal se terminer. Reste à savoir de quelle manière. Dimitri Kantcheloff remplace le champagne, le jaja et le whisky, par une eau de rose qu’il distille volontairement sur la fin de ce récit. Il clôt ainsi ce roman avec brio. 

Le lecteur, lui, a plus l’impression d’avoir regardé un film que lu un livre. L’atmosphère visuelle et l’enchaînement des scènes rendent ce roman vivant et addictif. Dimitri Kantcheloff montre que l’on peut s’amuser en littérature, à condition de prendre ce travail au sérieux. 

  • Tout le monde garde son calme, Dimitri Kantcheloff, Éditions Finitude, janvier 2025.
  • Crédit photo : ©Guillaume Marragonis.

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