Concentrant le cadre de son histoire dans une maison familiale de Mexico le temps d’une journée, Lila Avilès filme au plus près d’un désir simple et tendre : celui d’une jeune fille d’étreindre son père malade. Au sein d’un même regard naturaliste, elle fait cohabiter la joie des retrouvailles et la douleur de la perte.

« Je souhaite que papa ne meure pas ». Le souhait de la petite Sol, disons-le tout de suite, ne sera pas exaucé. Son père Tona est atteint d’un cancer en phase terminale et va bientôt mourir. À l’occasion de son anniversaire, toute la famille se retrouve dans la maison du grand-père pour une célébration ambivalente, à la fois festive et funéraire, où les rires se muent parfois en larmes.
Festin funèbre
La frénésie domestique de cette journée particulière est filmée caméra à l’épaule, conférant un aspect home movie à ce petit théâtre familial où chacun s’affaire à jouer son rôle : les tantes se chamaillent sur l’occupation de la salle de bain, les cousins cherchent à éviter les corvées ménagères, les oncles débattent sur la façon d’organiser la soirée en fonction de la météo. Seul le grand-père aphone demeure en retrait, préférant tailler son bonsaï en silence. Le format 4/3 participe également de cette impression faussement amateure de visionner une vidéo enregistrée sur caméscope.
Au sein de ce microcosme, tout laisse présager la ruine et la disparition, à l’image de cette grande maison un peu décrépie qui témoigne des difficultés financières de la famille. Chacun sait ou pressent ce qui va se passer et fait plus ou moins semblant de tout organiser pour la fête. Il est difficile, même pour les adultes, de faire face à la mort. Leur regard accablé trahit un désarroi lorsque les enfants les interrogent sur le sujet.
/La Chimère : de ruines et de merveilles
Certains tentent alors d’esquiver la douleur à travers un mysticisme de pacotille dans des séquences mi-pathétiques mi-burlesques. Comme la tante Nuri qui missionne une guérisseuse afin de chasser les mauvais esprits de la maison sous le regard perplexe de Sol et l’agacement du grand-père. Ou l’oncle Napo qui oblige l’assemblée à participer à une séance de « thérapie quantique », probablement influencé par les nouveaux charlatans des réseaux sociaux. Ce sont enfin de vieux amis de Tona qui retracent sa généalogie dans l’ancienne culture mexicaine chamanique dans une atmosphère douce-amère.
Un petit soleil intérieur
Celle que l’objectif suit à la trace pour capter le regard c’est Sol. Petit grain de lumière qui rebondit lentement de proches en proches, éclairant de sa présence les pièces baignées de tons ocre intimiste. C’est elle qui guide la progression narrative et dramatique du récit. Seule au milieu de l’agitation et du brouhaha, étendue sur un coussin d’ennui en attendant que les heures passent, elle ne désire qu’une chose : voir son papa. Écrasé de fatigue par sa maladie, ce dernier gît dans sa chambre, caché par l’immense honte de montrer son corps amaigri à ses proches, transformé presque en objet, puni par la douleur. Peintre de profession, il a ordonné la destruction de toutes ses toiles.
Le récit amalgame de multiples micro-événements de ce genre a priori sans importance dans un montage de mouvements, de regards et de paroles dessinant une mémoire collective façonnée par le chagrin
Dans l’attente des retrouvailles, le film s’autorise de petits apartés animistes dans lesquels Sol, désœuvrée, partage la compagnie de petites bêtes : des escargots qu’elle s’amuse à accrocher aux tableaux ayant remplacés ceux de son père, une mante religieuse égarée dans une plante intérieure, une abeille qui butine tranquillement dans le jardin. Le récit amalgame de multiples micro-événements de ce genre a priori sans importance dans un montage de mouvements, de regards et de paroles dessinant une mémoire collective façonnée par le chagrin. Néanmoins, la beauté simple du film tient dans cette tristesse contenue qui évite les effusions lacrymales et les cris de désespoir.
Cette pudeur nous ferait presque oublier le drame qui se déroule dans cette chambre solitaire où un homme, au seuil de la mort, tente de se lever pour assister à sa fête d’anniversaire. Lorsque Tona parvient enfin à reprendre son souffle il partage un court moment d’affection avec sa fille en lui offrant son dernier tableau, le seul qui n’ait pas été détruit, peint en convalescence et avec beaucoup de difficultés, dans lequel apparaissent tous ses animaux préférés : un totem destiné à devenir une future consolation, l’unique vestige de son amour.
- Totem, un film de Lila Avilès, avec Naíma Sentíes, Montserrat Marañon, Marisol Gasé. En salles le 30 octobre 2024
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