Grâce à une mise en scène magistrale et à une actrice sublime, Christian Petzold nous offre un regard singulier sur la vie quotidienne en Allemagne de l’Est. Entre paranoïa, faux semblants et vrais amis, Barbara questionne et intrigue.
Été 1980, Allemagne de l’Est. Contrairement au nom de la guerre qui oppose deux parties du monde, il fait chaud dans ce petit village provincial de RDA. Barbara Wolf a été forcée d’accepter un poste dans l’hôpital local. Une mutation synonyme de punition pour la chirurgienne, soupçonnée de préparer son évasion à l’ouest. Dans une prestation magistrale, l’actrice Nina Hoss campe un personnage dur, au visage fermé et aux émotions verrouillées. La cœur de Barbara semble prisonnier à jamais des glaces hivernales. L’héroïne au corps filiforme ne pense qu’à s’envoler vers le bloc occidental pour y retrouver son amant et sa liberté car « il n’y a pas de vie possible ici ».
Barbara aborde donc un thème déjà traité dans le cinéma. Mais, Christian Petzold, dont c’est le huitième film, a choisi de raconter l’Histoire avec un regard singulier et original. Dans La vie des Autres de Florian Henckel von Donnersmarck (2007), les personnages se retrouvaient cloisonnées dans un appartement sombre et étouffant, épiés par un Big Brother omniprésent. En émanait une atmosphère lourde et monotone sonnant parfois presque faux. Ici, des paysages champêtres baignés d’une lumière estivale défilent dans la roue du vélo de Barbara. Le vent s’agite dans les hauts feuillages. Il semble la protéger lorsqu’elle récupère furtivement des messages cachés sous une pierre ou dans le creux d’un tronc d’arbre.
Mais la menace rode. Les fouilles impromptues d’un personnage inquisiteur dans l’appartement de Barbara nous le rappellent régulièrement. Qui se cache réellement derrière le chignon blond du docteur Wolf ? Quels sentiments abritent ce visage longiligne aux traits tirés ? Sur l’écran, la hautaine Barbara apparaît désagréable. Méprisante. Et méprisable ? La force de Christian Petzold est de ne jamais juger, rien ni personne. Il dirige de main de maître son actrice qui, selon ses propres mots, « projette la solitude comme personne ». Le personnage complexe, voir antipathique, de son héroïne réveille les questions mille fois posées : qu’aurions-nous fait si, comme Barbara, nous étions nés de l’autre côté du mur ?
Qu’aurions-nous fait si, comme Barbara, nous avions dû soigner une jeune adolescente échappée d’un camp de redressement ? La rencontre va humaniser la robotique doctoresse. Cette femme peut aimer… et être aimée. Le regard doux du médecin chef pourrait dissiper la brume angoissante qui enveloppe le film, mais de quel côté se place-t-il réellement ?
Malgré les doutes, les relations se nouent et la vie s’écoule, presque paisiblement. Les bouches perfides diront que dans Barbara, il ne se passe rien et pourtant, grâce à la patte de Petzold, le suspense est là. Il plane. Il prend son temps et nous permet de s’attacher à ces prés verts, à cet hôpital sans moyens, et même à Barbara. Que décidera-t-elle quand viendra enfin l’heure du choix ?
Barbara, de Christian Petzold
Allemagne, 2012.
Ours d’argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin 2012.
Lola Cloutour