A l’occasion de la parution du film Nosferatu réalisé par Robert Eggers, Zone Critique revient sur l’évolution récente du vampire, cette figure attirante et dangereuse qui imprègne l’imaginaire de la pop culture. Le vampire est-il toujours cette figure subversive et érotisée que l’on retrouve dans l’esthétique néogothique des années 60 ? Que disent les relectures contemporaines de ce mythe de l’évolution de nos sociétés ?
Pour l’essayiste Stéphane du Mesnildot, le vampire demeure le symbole d’une sexualité transgressive. A une époque de plus en plus puritaine, cet archétype du genre horrifique continue à nous en apprendre sur nos zones d’ombres et nos désirs cachés.
Dans son ouvrage Le Miroir obscur : une histoire du cinéma des vampires (Rouge Profond, 2013), du Mesnildot se demande ce qu’est un vampire. Réponse : une créature venant des origines du cinéma qui se tient devant nous et nous parle à travers le temps. La scène du Dracula (1992) de Coppola où le comte invite Mina dans une salle de projection du cinématographe à la fin du XIXe siècle, constituant l’intrication symbolique et historique par excellence entre la figure du vampire – notamment celle de Dracula – et l’apparition du cinéma en Europe.
Retour aux origines
Pour du Mesnildot ce lien entre fantastique et innovations technologiques est déjà présent dans le Dracula de Bram Stoker : « C’est vraiment un roman de la modernité, avec la présence des trains, de la science, du cinéma. Dracula apparaît en même temps que les rayons X et que la psychanalyse. Soit une technique qui produit un double du réel en passant à l’intérieur du corps, et une discipline scientifique qui scrute les profondeurs de l’esprit.
Au XIXe siècle les démons de la nuit étaient moins des êtres surnaturels que le fruit de l’imagination érotique. D’où la métaphore du vampire comme symbole d’une sexualité transgressive. Celle qui contamine la bourgeoisie victorienne engoncée dans ses traditions et qui, d’un coup, va laisser sa sexualité s’épanouir, déborder, mais en retombant sous la coupe d’un maître. C’est ambigu : Dracula libère nos désirs et nous emprisonne dans ses propres désirs. Le journaliste Nicolas Stanzick a une très belle théorie à ce sujet : Dracula et Mick Jagger vont libérer sexuellement les jeunes Anglais de la même manière. La bouche sanglante des Rolling Stones c’est aussi la bouche du vampire. »
Désir écarlate
Au fil des années et des évolutions techniques, on note un changement de la représentation graphique du vampire au cinéma : c’est du désir que naît cet être surnaturel et le rouge est la couleur de ce désir, celle qui éclate dans Le cauchemar de Dracula (1958) de Terence Fisher, le premier film du cycle des vampires et le plus éclatant représentant de l’âge d’or de la célèbre société de production britannique Hammer. Jouant malicieusement avec les codes de la censure, c’est par le prisme du fantastique que la charge érotique peut se manifester dans ces films (sans même parler des variations explicitement pornographiques de Jess Franco).
C’est du désir que naît cet être surnaturel et le rouge est la couleur de ce désir
« J’aime beaucoup la dimension érotique de Bela Lugosi, malgré son âge et ses cheveux gominés. Quand il recouvre Mina (ou Lucie) de sa cape, c’est à la fois un acte vampirique et en même temps un acte sexuel. À ce moment-là, la censure permet paradoxalement la transgression. On dissimule dans la coupe, dans le fondu au noir, l’interdit sexuel.
Mais le rouge de la Hammer des années 1950-1960 va faire tout exploser. L’animalité érotique de Christopher Lee se déchaîne, on voit vraiment ses dents qui s’enfoncent dans les cous. À son contact, les femmes deviennent folles. Même un séducteur de l’époque comme Cary Grant, ne possède pas cet attrait sulfureux. Marlon Brando non plus, qui, en dépit de son aura érotique, ne fait pas très peur. Il est juste un peu indolent. Et en tee-shirt. »
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Les passions nocturnes
En France, ce trouble sensuel se retrouve dans Les Lèvres rouges (1971) d’Harry Kümel, film existentialiste sur l’ennui de la jeunesse éternelle, où les comtesses vampires traînent leur mélancolie dans des grands hôtels déserts à Ostende durant la morte-saison.
En Amérique, le maître vampire se nomme Andy Warhol, producteur du Du sang pour Dracula (1974) « avec le génial Udo Kier qui se farde en Béla Lugosi devant son miroir. Warhol avait un problème de pigmentation de la peau, il lui manquait le rouge. Il lui fallait du maquillage et une perruque pour être un peu plus humain. Il se nourrissait de la substance des gens de la Factory, de manière parfois sordide. » Un rôle que reprendra David Bowie dans Les Prédateurs (1983) de Tony Scott, vampire consommateur et parasite aux côtés de Catherine Deneuve, parfaits rejetons de la société clinquante de la mode et des clubs.
« On entre ensuite dans des temps plus puritains avec l’apparition du SIDA dans les années 1980 et une certaine peur de la sexualité chez les jeunes. D’où le phénomène Twilight (2008) avec des vampires mormons, très beaux, un peu véganes qui rechignent à mordre. C’est d’ailleurs assez révélateur de l’inquiétude et du rejet du sexe par la très jeune génération. Ce qui me sidère. J’ai des étudiants qui rechignent à regarder L’Empire des Sens (1976) d’Ōshima à cause de ses scènes de sexe. Et pourtant, les films d’horreur sanglants sont toujours là, avec une représentation de la violence ultra-graphique, ultra-frontale. Et d’un autre côté, le sexe au cinéma tend à disparaître ou à s’affadir. Ce qui n’empêche pas les adolescentes de se sexualiser elles-mêmes à outrance sur TikTok, dans un rapport très capitaliste à leur propre corps et un rapport à l’image basé sur la consommation.
Un certain cinéma a pourtant le mérite de nous en apprendre plus sur nos zones d’ombres et nos désirs cachés. C’est dommage de le reléguer dans les vieilleries du passé. Les films de vampire possèdent en eux un pouvoir réellement incontrôlable. »
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