Sur le papier, l’idée du cinéaste Gustav Deutsch est fantastique : retracer 30 ans d’histoire sociale américaine à travers le parcours d’une femme évoluant dans les tableaux du peintre Edward Hopper. Sur l’écran, le passage à l’acte s’avère lassant et assez inintéressant.
Fasciné par le travail d’Edward Hopper, le réalisateur et architecte autrichien Gustav Deutsch décide un jour de mettre en scène les tableaux du peintre américain. « Par le biais d’un personnage […] je voulais aborder trente ans de l’histoire américaine, en faisant coïncider les peintures et la date de leur exécution : par le reflet de cette femme et à travers ses yeux. »
Habitué des projets originaux (il a réalisé plusieurs œuvres grâce à la technique du found footage qui consiste à récupérer des séquences déjà existantes pour recréer un film), Gustav Deutsch se lance dans la réalisation de Shirley : un voyage dans la peinture d’Edward Hopper avec la création grandeur nature de treize tableaux du maître. « Mon idée principale était de vivifier ces images. Je voulais imaginer ce qu’il se passe juste avant et juste après le moment immortalisé par la peinture de Hopper. »
A l’intérieur de ces cadres, moins figés que sur les murs des musées puisque les rideaux s’agitent avec le vent et que les fenêtres s’ouvrent, va donc évoluer Shirley. La danseuse et actrice Stephanie Cumming incarne cette comédienne américaine qui exprime ces impressions dans un lancinant commentaire en voix-off.
Trente ans d’histoire américaine sans émotion
La mécanique est toujours la même. Chaque séquence se déroulant dans un tableau d’Edward Hopper est précédée par un écran noir barré d’une date, sur lequel se déroule la bande-son d’un bulletin d’informations. L’idée est astucieuse pour contextualiser la scène à venir. Entre le 28 août 1931 et le 28 août 1963, on entend ainsi parler des 25 000 artistes et producteurs quittant New-York au début des années trente à cause de la crise, de la deuxième guerre mondial imminente, de l’incinération de Léon Trotsky au Mexique, du I have a dream de Martin Luther King…
Shirley elle, évolue dans ce monde en mouvement. La comédienne partage sa vie avec un journaliste et nous délivre des commentaires banals et inconsistants tels que « Le passé est derrière nous. L’avenir est à écrire. » Gustav Deutsch utilise les réflexions de son héroïne sur le monde du théâtre comme un liant artificiel aux différents tableaux, aux différentes époques. Mais l’ensemble est tellement plat qu’il est difficile de s’intéresser aux aléas auxquels Shirley doit faire face.
La saynète la plus réussie est finalement sans doute la première, dans une chambre d’hôtel à Paris. En y entrant, Shirley glisse un « Quelle horrible lumière !» face au néon. Un clin d’œil malin à Hopper chez qui les jeux lumineux sont cruciaux. Alors que la jeune fille lit tout fort le programme du paquebot qui va la ramener en Amérique, la musique correspondant aux activités se superpose à sa voix (musique classique pour le concert, jazz pour la soirée dancing…) Shirley s’endort face à la fenêtre en citant des vers de Robert Desnos : « Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit. Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre… » Ce seront les seuls touches poétiques du long-métrage.
Une minutieuse reconstitution
Malgré sa faiblesse scénaristique, il faut reconnaître que Shirley : un voyage dans la peinture d’Edward Hopper permet une plongée incroyablement réaliste dans les tableaux du peintre américain. Avec sa compagne Hanna Schimek, Gustav Deutsch est allé aux États-Unis observer les œuvres in situ afin de déterminer un nuancier de couleurs précis à utiliser dans son film. « Je voulais projeter sur grand écran ce qui définit l’œuvre de Hopper, ce jeu fascinant de chaud et de froid, de lumière et d’ombre. »
Mission accomplie pour cet architecte de formation qui a recréé en trois dimensions les univers hopperiens. Une tâche plus complexe que ce que l’on peut imaginer en admirant les œuvres dans un musée. « Il peignait avec des dimensions incroyables. Ses lits font souvent trois mètres de longueur et ses fauteuils sont tellement étroits qu’il est presque impossible de s’y asseoir. […] Tout est anamorphique, aucun meuble n’est placé dans un angle droit et aucun espace n’est orthogonal. »
Gustav Deutsch oblige ainsi sa caméra à conserver la position du spectateur face à la toile, ce qui limite considérablement le effets de mise en scène. En gardant le même angle, le réalisateur choisit donc régulièrement de zoomer sur telle ou telle partie du cadre. L’intention est louable, mais pourquoi le faire toujours de la même manière ? Le bas des jambes de Shirley nous est ainsi présenté en gros plan plusieurs fois dans différents tableaux. Si la première fois est agréable, la deuxième devient répétitive et la troisième carrément lassante… Dommage, car certaines de ses tentatives sont réussies, par exemple lorsqu’on observe une cigarette se consumant dans un cendrier sur le rebord d’une fenêtre, à côté des genoux de Shirley.
Ainsi, on peut tout de même saluer le magnifique travail de reconstitution de Gustav Deutsch et de son équipe
Ainsi, on peut tout de même saluer le magnifique travail de reconstitution de Gustav Deutsch et de son équipe. La lumière, les touches de peinture, les couleurs… Tout y est, comme dans les tableaux d’Edward Hopper. Tout… Ou presque, car il manque sans doute l’essentiel : la liberté de pouvoir imaginer nous-même ce qu’il passe par la tête des personnages qu’il a choisi de représenter…
- Shirley : un voyage dans le peinture d’Edward Hopper, de Gustav Deutsch. Avec Stephanie Cumming.
Lola Cloutour