Avec ce premier film à l’ambiance baroque, l’actrice et désormais réalisatrice franco-grecque Ariane Labed (vue notamment chez Yorgos Lanthimos et Athiná-Rachél Tsangári) signe un long-métrage maîtrisé et dresse le portrait de l’adolescence tourmentée de deux sœurs.

Elles prennent la pose dans des robes blanches trop petites pour elles, devant leur mère ravie. C’est évident : September (Pascale Kanne) et July (Mia Tharia) grandissent et cette métamorphose, en plus de faire sauter les coutures de leurs habits virginaux, les pousse dans leurs retranchements. Pour raconter cette histoire, la réalisatrice choisit d’adapter le roman néo-gothique irlandais Sœurs de Daisy Johnson et dresse un portrait croisé de deux jeunes filles en proie aux tourments de l’adolescence. Premiers émois, premières attirances, harcèlement et moqueries au lycée, relations fusionnelles et conflictuelles entre sœurs : le programme du coming of age que déroule Ariane Labed est à première vue consensuel. Pourtant la minutie et l’intelligence avec laquelle elle filme ses héroïnes – la mère des sœurs comprise – et le glissement progressif vers le fantastique qui s’opère au milieu du film font de September and July une proposition singulière et intrigante.
Marquée par le cinéma de Yorgos Lanthimos avec qui elle a travaillé, Ariane Labed creuse le sillon de la bizarrerie glauque.
Le geste d’Ariane Labed est guidé par un goût du détail que l’on peut observer tant dans la mise en scène chorégraphiée avec soin que dans la photographie extrêmement léchée, signée Balthazar Lab. Avec son aide, la réalisatrice crée une série de tableaux hantés aux couleurs lavées par le temps, dans un 16mm puis un 35mm – faisant ainsi de sa fable un récit hors de toute temporalité.
Ghost story
La réalisatrice travaille une esthétique du hors-champ. Aussi, le film bascule à sa moitié : un écran noir censure brusquement la scène qui se joue – à tel point que l’on se demande un instant si la copie du film est en bon état. Cette scène fantôme hante September et le film tout entier. Elle finit par être révélée mais seulement par à-coups, dans une suite de photos façon Chris Marker – l’irracontable ne pouvant faire l’objet d’un récit linéaire mais seulement fragmenté et discontinu.
Hors-champ aussi quand September commet l’irréparable, assise sur les cuvettes d’une galerie, et envoie à un de ses camarades des photos érotiques qui font basculer le récit. Hors-champ finalement dans les scènes de sexe. Lorsque la mère (Rakhee Thakrar) a une relation sexuelle avec un homme qu’elle a rencontré au village, son corps apparaît coupé à la moitié : c’est sur les tensions de son visage que la caméra se concentre, plaçant ainsi au cœur de l’acte sexuel le plaisir et le ressenti féminin. Ce point de vue s’enrichit d’une voix intradiégétique (celle de la mère) qui vient commenter avec humour la situation. La seconde scène de sexe (entre September et un jeune garçon rencontré sur la plage), brève, efface à nouveau le protagoniste masculin. Ariane Labed dessine les contours d’une sexualité où le plaisir et le ressenti de la femme n’est plus hors-champ mais bien central et au cœur de l’action.
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Dans September and July les symboliques ne font pas défaut. Le rapport que les deux sœurs entretiennent est ambigu à plus d’un égard. Leur ressemblance, qui rappelle les jumelles de Shining, suggère l’idée d’une spécularité entre les deux jeunes femmes : July est September, September est July. En ce sens, July semble représenter la part la plus noire de sa sœur, la poussant, dans des scènes glaçantes, à dépasser sans cesse ses propres limites. L’adolescence semble à ce titre être le théâtre d’un affrontement intérieur mis en scène par les tensions entre ces deux faces d’une même pièce. Marquée par le cinéma de Yorgos Lanthimos avec qui elle a travaillé, Ariane Labed creuse le sillon de la bizarrerie glauque pour raconter les conflits fratricides entre les deux sœurs. Elle fait siens certains artifices que l’on a pu voir chez le réalisateur grec : misanthropie, langage animal se substituant au langage humain, curiosité scientifique malsaine… Si la multiplication de ces symboliques alourdit parfois le récit, elle ne le dénature pas.
Le dernier plan représente September debout sur un récif, fixant l’horizon. À ses côtés, on devine (en hors-champ encore une fois) la chevelure de sa sœur qui flotte au vent. C’est que, comme le suggère Ariane Labed, on se débarrasse difficilement des gisements de l’enfance.
- September and July, un film d’Ariane Labed, avec Mia Tharia, Pascale Kann, Rakhee Thakrar. En salles le 19 février 2025.
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