Dans La Confession, Romane Lafore narre les pérégrinations d’Agnès, une jeune catholique pratiquante engagée dans la Manif Pour Tous, qui cherche à s’affranchir de ses croyances anachroniques et à comprendre l’avortement. Un subtil roman d’apprentissage, malgré quelques maladresses narratives.
Au commencement, il y a une jeune femme qui se rêve mère, comme échappée d’un prieuré dont elle évoque également les rites pluriséculaires qui ne font plus sens. Son conservatisme, situé quelque part à la marge gauche de Saint-Nicolas du Chardonnet, se résume à répéter que le feu est incandescent par essence, quand il ne faut pas s’étonner de se mouiller au contact de l’eau. Des images sur lesquelles se construit le texte, et avec lui le caractère d’Agnès, dont l’itinéraire oligarchique fait d’elle une petite fille gâtée à qui on enseigna certaines valeurs, comme à dissocier le bien du mal et à faire la charité : « On m’a appris à donner aux pauvres, on m’a appris qu’il le fallait, du moins – le nécessiteux, le mendiant en haillons, figurait souvent parmi les personnages que convoquait maman dans les saynètes de la vie quotidienne ».
Agnès n’est cependant pas une poupée de porcelaines hermétique à la souffrance. Jusqu’à l’âge adulte, sur le papier, son profil est sans aspérités. Elle a toujours bien agi. Elle est devenue militaire, femme de militaire, catholique engagée dans la Manif’ pour Tous. Une vie de certitudes. Par trop forte, peut-être, de ses convictions sur le Bien et le Mal. Agnès a trop tôt connu le décorum institutionnel de l’armée et l’assurance que confère l’entre-soi, et cette sociabilité dans laquelle les femmes sont confinées dans un rôle bien précis qui fortifie leur assurance. Mais Agnès découvre aussi le poids de la solitude lorsqu’Hugues, son époux, est envoyé à l’étranger pour des opérations à l’extérieur du pays. C’est ainsi qu’elle participe aux permanences téléphoniques de la Manif’ pour Tous qui essayent de diriger des jeunes filles souvent perdues et de s’assurer qu’elles renoncent à l’idée d’avorter. Chez elle, c’est une histoire de famille. Son père est pharmacien et s’est décidé à refuser de vendre la pilule du lendemain. Romane Lafore évoque ici la radicalisation de tout un pan de la société avec empathie.
Cela peut créer un doute chez le lecteur : et s’il ne s’agissait pas d’un roman ? Si ces idées étaient les siennes ? Après tout, certains passages embrassent par trop la réalité pour qu’on en vienne à douter de leur caractère fictionnel. Parfois, après tout, il arrive que l’auteur ne mime pas mais qu’il soit.
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Ce qui fait cependant souffrir davantage Agnès est de ne pas réussir à avoir d’enfants. Et ça n’est pas faute d’essayer. Autour d’eux, tous les couples de militaires réussissent pourtant. Hugues et Agnès s’acharnent. Sous la plume de Lafore, Agnès est un fruit malade. Romane Lafore, qui accède souvent à une véritable beauté lyrique dans son roman, fait preuve à certains endroits du récit d’un peu de maladresse narrative, par exemple lorsqu’elle énonce trivialement les interdits formulés catégoriquement par leur religion : « Hugues ne se trompait jamais de trou, vous vous en doutez. Notre foi nous l’interdit. » Le lecteur se serait ici passé de pareils détails, tant ils semblent échapper à toute logique narrative.
La romancière réussit le pari de donner à entendre le poids qui pèse lorsqu’il s’agit d’évoquer la maternité qui peine à venir
Néanmoins, la romancière réussit le pari de donner à entendre le poids qui pèse lorsqu’il s’agit d’évoquer la maternité qui peine à venir passé un certain âge, ou selon un certain rang social, chez les femmes qui gardent en elle ce poids ainsi qu’un lourd secret. Au début, écrit-elle, « les gens pensent notre infécondité relever d’un choix », souligne-t-elle. Mais les années passent et les gens vous regardent peu à peu différemment… Quand vous n’avez pas d’enfant malgré vous, dit Agnès, la tentation est grande de détester et juger ceux qui ont recours à la contraception.
C’est là le début de son long voyage vers la résilience, pour arriver à comprendre par-delà l’idéologie que la communauté vous a donnée en legs. Ainsi en est-il de l’itinéraire de cette anti-héroïne qui cherche à s’affranchir de ses croyances anachroniques et à comprendre l’avortement dans un récit qui va se révéler être un subtil roman d’apprentissage, malgré quelques lourdeurs de raisonnements parfois inopportunes.
- La Confession, Romane Lafore, Flammarion, 254 p., 20 €.
- Crédit photo : Flammarion © Céline Nieszawer
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