Parution événement aux éditions Seghers avec ce recueil d’inédits, datant de 1936 à 1940 du grand Robert Desnos, dans une édition préfacée par Thierry Clermont. Seule contrainte : écrire un poème, chaque soir, autour de minuit ; ce moment, comme il le confie, où l’esprit s’abandonne au repos, à l’image de sa pratique de l’écriture automatique et de son effort de sape de toute rationalisation aux temps du premier surréalisme.
Un recueil qui comporte quatre cahiers, et qui offre au lecteur le plaisir de découvrir la graphie de Desnos puisque certains textes sont complétés d’une image du manuscrit et recopiés, parfois mal – ce qui n’est pas sans ajouter un certain charme à l’écriture – par Desnos. On comptera sur la délicate préface de Thierry Clermont pour remettre en contexte et l’œuvre du poète et les conditions heureuses de cette découverte puisqu’on ignorait jusqu’en 2020 « l’existence de ce trésor ».
Parole d’outre-tombe pour un poète qui n’est pourtant pas mort : on se plongera avec une certaine mélancolie dans cette fantaisie bien connue de Desnos.
« On aura bien rigolé quand même
Sur cette terre
Moi j’aurai bien rigolé
Pas autant cependant si je meurs avant »
Car c’est bien Desnos qui se présente à nous, ou comme le commente T. Clermont : « [le] poète est là, à l’oeuvre. » On retrouve et l’imaginaire enfantin et animalier, et la poésie du jeu.
« Un rossignol perdu dans les moussons d’hiver au-dessus de l’océan Indien
Un cerf nageant à cent lieues de toute côte
Un phare sans gardien signalant au grand large un récit
Ne sont pas plus perdus que toi Clovisse
Dans ce ruisseau de Paris
Qui reflète maladroitement
Le réverbère allumé
Hésitant à briller dans le trop pâle crépuscule »
De ces traces encore de l’écriture qui ne cache pas son implication intellectuelle et politique, portée par une profondeur de la pensée que l’évidence de l’image sublime.
« Trace de suie
Et le pétard de Dieu sur tout cela »
Rien de plus simple et de plus grand ici que l’inanité du monde et du sens dans la puissance du vers.
« Viens, ne dis rien, marche
Le souterrain est bas c’est le souterrain du jour sans soleil
Les pierres s’entrechoquent sous les pieds comme des os sous les mâchoires »
Poèmes de minuit, titre le recueil si justement, car Desnos n’épargne rien de la nuit qui pèse sur ce monde au sens à bascule.
« Non je ne hais point le néant vaste et noir
Je ne recueillerai pas les vestiges du passé
Mais mon coeur n’est pas triste. »
Et Desnos n’écrivait-il pas déjà dans Corps et biens « J’ai perdu le regret du mal passé les ans » ? Car encore c’est bien la conscience aigüe du temps présent qui dit la vision de l’écriture elle-même.
« Bois brûlé
Bois brisé
Le printemps sent l’incendie
J’abolis toutes les armes fanées
Je pose mon pied sur aujourd’hui »
Délicatesse de la poésie de Desnos donc qui dit encore comment se tenir droit – et droit d’en rire – dans l’époque tordue.
« Pluies d’orages
Mais je te tiens gaieté à la gorge
Et si tu meurs se sera de rire »
Poèmes de minuit c’est dire la rencontre du soi et du monde au soir, hasard de l’écriture qui puise dans son contemporain l’inactuel, qui dit son temps et les suivants, parlera encore longtemps.
« J’arrive justement du pays de la terre mouillée
Écoute
La pluie tombait et confondait le ciel avec les moussons
La terre sentait le cadavre de terre
De la terre morte
De la terre pourrie »
Dire le plaisir que serait de découvrir un auteur si familier, d’être happé à l’envie par la familiarité de l’écriture et pourtant toujours étonné et ému du sursaut de chaque vers si nouveau, puis chanter longtemps pour que
« La mort soit plus proche qu’aujourd’hui
Je serai demain matin
Plus vivant plus vivant vivant qu’aujourd’hui. »
- Robert Desnos, Poèmes de minuit, inédits 1936-1940, Editions Seghers, février 2023