Avec son titre en forme de mise en garde, le nouveau film de Michel Hazanavicius résume d’un mot l’une des personnalités les plus complexes du cinéma hexagonal. Maître à penser d’une génération héritière de La Nouvelle Vague, il a su inscrire son style sur la pellicule et ses mots d’esprit à la postérité. Mais qui est vraiment Jean-Luc Godard ? Sans prétendre percer ce mystère, Hazanavicius dévoile une facette du mythe avec beaucoup de malice. Adeptes de biopics linéaires passez votre chemin, les autres pourront se réjouir de cette comédie plaisante mais pas indispensable.
Décalé à souhait, Le Redoutable l’est surtout (redoutable) pour les zygomatiques. En deçà de ses concurrents dans la course à la Palme d’or, il vaut toutefois au réalisateur de The Artist de faire une nouvelle déclaration d’amour à une époque légendaire du cinéma. Après les débuts du parlant, c’est l’ère post-Nouvelle Vague qui sert de décor à son long métrage. Godard est-il un éternel insatisfait du septième art, un génial inventeur, un artiste incompris, un imposteur, ou tout cela à la fois ? Sans chercher à apporter de réponse précise, Hazanavicius explore la part de doutes de celui qu’on aurait aussi pu surnommer « l’insondable ».
Portrait croisé
Le réalisateur nous a habitués à de la romance, Le Redoutable n’échappe pas à la règle. Sa muse, Bérénice Bejo est présente – pour leur quatrième collaboration – mais c’est à Stacy Martin qu’il revient d’incarner celle de Godard. Révélée par le diptyque Nymphomaniac, la jeune actrice a connu son baptême cannois avec Tale of Tales et son premier rôle d’importance dans Taj Mahal de Nicolas Saada. Aujourd’hui, elle gravit une marche supplémentaire en partageant l’affiche avec Louis Garrel dans le rôle-titre. Calvitie naissante et air grave de circonstance, le réalisateur anticonformiste trouve un souffle humoristique inattendu avec Garrel. Grâce à un poker face digne de Buster Keaton, une diction mimétique et pas mal de dérision, le comédien généralement peu enclin au registre de la légèreté détonne.
Cannes, troisième !
Pour sa troisième sélection cannoise, Michel Hazanavicius s’offre la belle. Après avoir remporté la première manche avec le prix d’interprétation masculine pour Jean Dujardin danseur de claquettes de The Artist, puis perdu la revanche avec The Search – mélodrame désavoué par la presse – il est de retour dans l’arène de la Compétition. Adaptant lui-même le scénario, il s’est beaucoup impliqué dans ce projet puisqu’il est aussi aux manettes de la coproduction et du montage. On notera que le nom de Riad Satouf à la production n’est peut-être pas étranger à l’aspect cartoonesque de ce Godard revisité.
La voix d’Anne Wiazemsky
Biopic centré sur une courte portion de la vie de Godard (trois ans), Le Redoutable est adapté du roman d’Anne Wiazemsky, laquelle a partagé la vie du metteur en scène durant cette période de grand bouleversement personnel et artistique. Derrière ses fragiles lunettes, le maestro porte un regard froid, désabusé et solitaire sur le monde qui l’entoure, à travers le prisme de l’art et de la politique. L’angoisse du délaissement comme fil rouge apporte de l’intensité au propos, ponctué de traits d’humour bien amenés, à l’instar de la séquence sous-titrée, ou de la scène du disque rayé. Jean-Luc Godard n’est pas épargné et le véritable héros du film est d’ailleurs une héroïne, Anne.
Hommage et déconstruction
D’un point de vue formel, Le Redoutable est un régal pour les inconditionnels des effets de style de La Nouvelle Vague. Voix off (au pluriel) et jeux de cadrage en miroir y sont légion, avec la même désinvolture qui sied aux auteurs de l’époque, comme Truffaut ou Cournot (Grégory Gadebois). Sublimée par une photo un brin vintage, la gamme chromatique est à dominance bleu, blanc rouge assumée. Ce décor tricolore et les mélodies dansantes de la BO insufflent de l’énergie à ce film clin d’œil, qui déconstruit le mythe. Sur l’écran du Théâtre Lumière, les sorties de l’ingérable Godard à propos du Festival de Cannes sont de petits bijoux de méta-cinéphilie. Avec, en prime, la véritable bande son d’archive de l’édition avortée de 1968 et du célèbre : « Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons ! », lancé à l’assistance.
La Nouvelle Vague a 60 ans, le Festival de Cannes 70 et les deux font toujours aussi bon ménage. S’il n’a pas l’envergure d’une Palme d’or, Le Redoutable a l’éclat de la nostalgie, sans être désuet. Un joli film qui devrait plaire ; même si plaire au public est semble-t-il le cadet des soucis du principal intéressé.
Le Redoutable, de Michel Hazanavicius, avec Louis Garrel, Stacy Martin et Bérénice Bejo. En Compétition, sortie prévue le 13 septembre.