Arthur Dayras, feu d’artifices

RENTRÉE LITTÉRAIRE. Dans son premier roman, Que brûle la nuit, Arthur Dayras explore la violence dans le couple dans le contexte de l’après MeToo. Le livre suit la naissance d’un amour entre une femme naïve et un soulard violent dont l’issue est assez prévisible. Malgré une maitrise de la langue, le récit se perd dans des descriptions romantiques d’une vie de quartier avec ses troquets et ses marchés et des personnages à la psychologie simpliste. 

D’un côté il y a Fleure (avec e parce que son père a mal orthographié son nom à l’état civil), étudiante orpheline et innocente qui rêve de devenir maitresse d’école. De l’autre il y a Victor, étudiant en architecture, passionné (mais pas passionnant) d’urbanisme, pilier de bar grossier et consommateur expérimenté de blanche, de taz et de kéta (comprenez, cocaïne, ecstasy et kétamine). Elle est réservée et discrète. Dans la bibliothèque, elle s’assoit toujours au même endroit. Il est volubile et brut de décoffrage. Victor est le genre de type à vous mettre des bourrades dans les côtes, railler un pote parce qu’il quitte une soirée avant l’aube et à répondre à toute critique par la violence physique ou verbale. Bref, contre toute attente, un amour naît, après deux rendez-vous catastrophiques, sans que le lecteur ne comprenne bien comment. 

Voilà pour l’action. Pour le décor, Arthur Dayras a choisi la région lilloise. À travers des descriptions à n’en plus finir, l’auteur nous peint une France des bistrots où l’on s’envoie des demis dès le matin et celle des marchés où les vieillards traînent leur solitude au milieu des bobos en mal de produits frais. Ça sent le graillon toutes les dix pages et on a l’impression de regarder le journal de 13h en boucle. L’auteur a une maitrise évidente de la langue, mais force le trait. On voit l’ombre de Nicolas Mathieu, mais il me manque la subtilité de l’auteur de Leurs enfants après eux et la force de son style dépouillé. Arthur Dayras abuse de lyrisme et d’adjectifs, le lecteur en vient à sauter des paragraphes pour revenir à l’intrigue principale. 

Arthur Dayras abuse de lyrisme et d’adjectifs, le lecteur en vient à sauter des paragraphes pour revenir à l’intrigue principale. 

Une histoire d’amour peu crédible

Là réside le problème majeur de ce roman. Arthur Dayras semble naïf dans la construction de son récit et de ses personnages. On comprend son projet : raconter la violence d’un homme et interroger ses propres comportements à travers ceux de Victor. Pour autant, on peine à croire à cette histoire d’amour entre deux personnages que l’on imagine jamais tomber amoureux. À leur premier rendez-vous, alors que Fleure explique que ses parents sont « partis », expression que Victor déteste, voilà comment tourne la conversation : 

« T’as déjà vu quelqu’un mourir ?

– Non, je… je crois pas. Non.

– Moi oui. Ça n’a rien d’une élévation. 

– Mais j’ai pas dit ça

– On s’imagine que la mort est une transfiguration. Qu’elle élève, quoi. Je peux t’assurer que non. C’est même l’inverse. Mourir, c’est un geste idiot, un presque rien, une sorte de lâcheté. »

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Victor est rustre, en plus d’être barbant, il plante Fleure lors du deuxième rendez-vous et la frappe avec un coussin dès leur premier week-end en amoureux. Il est difficile de croire à ce schéma dans le cadre d’une relation abusive. À aucun moment, Victor n’essaye d’établir un lien de confiance pour mieux le briser ensuite. Les pages défilent, on saute des paragraphes, et l’inévitable rupture arrive enfin. Elle débouche sur des pages teintées d’un misérabilisme gênant où l’on suit la dégringolade de Victor, un burn-out, une dépression, des amis qui s’inquiètent. Là encore, Arthur Dayras fait fausse route. Le lecteur n’a pas envie de s’apitoyer sur le sort d’un alcoolique violent sur le point de commettre un acte ignoble. D’ailleurs, je suis certain que ce n’est pas l’effet recherché par l’auteur. D’où ce constat d’échec. 

Des artifices stylistiques trop nombreux

Depuis le mouvement MeToo, de nombreux récits ou romans ont été publiés sur le sujet des violences conjugales. Ils sont souvent écrits par des femmes, les premières concernées, et les mieux placées pour exposer ces comportements. Arthur Dayras passe à côté de son sujet. Il use d’artifices stylistiques trop nombreux et ne parvient pas à saisir l’essence des personnages qu’il a voulu créer. Il en résulte une lassitude tenace à devoir tourner les pages de ce roman, malgré quelques saillies, qui ne suffisent pas à sauver le livre.  

« C’est un grand malheur la fiche de paye, un truisme à écrire. La guillotine des insouciances. »

  • Arthur Dayras, Que brûle la nuit, Robert Laffont, 2024

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