Pour son onzième roman paru lors de la dernière rentrée littéraire de septembre, Serge Joncour s’inspire d’une situation vécue par une poignée d’écrivains plutôt privilégiés : celle d’être invité à passer un mois en tant qu’auteur en résidence, à Donzières, une petite ville nichée entre Nièvre et Morvan.
Dans cette région plus peuplée d’arbres que d’habitants, l’aventure semble bien se présenter pour notre narrateur, appelé malicieusement Serge par l’auteur qui, d’emblée, joue avec son lecteur sur la limite, assez floue, entre réel et fictionnel. « Pour une fois j’éprouvais la sensation très concrète d’aborder les protagonistes d’une intrigue réelle, de toucher du doigt des personnages, mais pour de vrai, sans même me préoccuper de les inventer. »
Un auteur s’octroie tous les droits et peut même prendre des risques. Ainsi, l’on sent, dès les premières pages que le calme des paysages cache une réalité plus tortueuse, et que le sujet de base, d’apparence banal, va s’épaissir. En somme que l’auteur va jouer avec les nerfs de son lecteur comme un chat avec une pelote, tissant patiemment et avec une parfaite maîtrise la trame du drame qu’il s’apprête à lui faire vivre.
L’écrivain « national » met les pieds en province dans un village tranquille et sans histoire, pour s’extraire de son quotidien parisien et prendre du recul, « faire un pas de côté » comme il le pense. Mais il va entrer de plain-pied et plutôt maladroitement dans une histoire inquiétante : la disparition inexpliquée de Commodore, un personnage local riche vivant en lisière d’une forêt très dense et si présente dans ce roman. Dépeinte avec grand respect, elle apparaît presque personnifiée, voire effrayante par moment. « La route grimpait, comme toujours, signe que la forêt était bien un monde au-dessus, un monde posé sur le nôtre ».
Cette disparition brutale et inexpliquée a pour effet de jeter le doute et la suspicion entre les habitants de Donzières. Et particulièrement sur les locataires de Commodore, une bande de jeunes à la marge vivant dans une maison jouxtant celle du disparu, avec « au milieu de tout cela » la magnétique et ensorcelante Dora, dont chacun se méfie … A l’exception de Serge, notre écrivain, hypnotisé par sa présence comme par son absence. « Son emprise m’imprégnait pire qu’un flacon de parfum renversé. »
Une pointe d’humour, un soupçon de burlesque, une bonne pincée de suspens, un zeste d’amour dont une magnifique scène écrite aux deux tiers du roman : les ingrédients semblent réunis pour emporter le lecteur à travers ces bonnes feuilles finement écrites, retravaillées, dégraissées à l’extrême pour obtenir un résultat pur et digeste qui se lit d’une traite.
La critique a salué cet ouvrage qui se consomme sans modération et dont certains passages éveillent des résonances profondes, secouent, interrogent, font sourire par leur second degré ou tiennent en haleine.
Les pages les plus vibrantes portent sur les descriptions de la nature, aussi sauvage et hostile que belle, colorée et pleine d’espoir car en perpétuelle renaissance. Comme l’amour qui surprend et secoue le narrateur solitaire, un amour à faire peur, « une folie pure », « un pacte à deux contre le monde. »
Séverine Osché
- Serge Joncour, L’écrivain national, Grasset, août 2014.