Louise Chennevière : Baby One More Time

Pour inaugurer les rencontres littéraires Zone Critique / RESO de 2025, nous avons la grande joie de recevoir l’écrivaine Louise Chennevière le mercredi 22 janvier à 19h30, qui vient de faire paraître aux éditions POL un texte majeur, Pour Britney

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JE M’INSCRIS À LA RENCONTRE

Pour Britney, récit de Louise Chennevière publié aux éditions POL pour cette rentrée littéraire de septembre, invite à relire le destin de Britney Spears à la lumière des écrits de Nelly Arcan, poursuivant la réflexion de son premier roman, Comme la chienne, publié en 2019.

Dans une langue volcanique, écrite comme une seule phrase, Louise Chennevière nous fait sentir jusque dans notre chair la violence du patriarcat, et cette “injonction informulée inscrite au plus profond de la chair des femmes”, qui les contraint à vivre pour le désir masculin. 

C’est un lien a priori étonnant que donne à lire Louise Chennevière dans son nouveau livre : qu’est-ce qui pourrait bien relier Britney Spears et Nelly Arcan, autrice de Putain en 2001 au éditions du Seuil qui s’est donné la mort en 2009 ? La découverte, à trente ans, des mémoires de la pop-star tant adulée lorsqu’elle était jeune fille puis méprisée une fois adulte car elle correspondait à tout ce que de la féminité elle ne voulait être, ainsi que la rencontre avec l’écriture de Nelly Arcan, son récit, son suicide, ont conduit Louise Chennevière à mener une réflexion-hommage à ce destin de succès, raison même d’une véritable descente aux enfers. Ce lien entre Britney et Nelly c’est avant tout et surtout cette « manière de voir qui circule partout » et qui construit les femmes comme un corps sans tête, un corps sans esprit, pris dans un « devenir putain ». Partant de son expérience propre, notamment dans son lien adolescent avec la star Britney Spears, Louise Chennevière poursuit sa réflexion sur le vécu, l’expérience matérielle d’être femme, dans un regard. Elle part de sa propre expérience, une expérience quotidienne, qui se vit à chaque coin de rue, à chaque interaction avec un homme : qu’est-ce que ça fait de grandir en étant femme, de sentir ses seins pousser et les regards se diriger non plus vers ses yeux mais vers cette nouvelle partie de son corps ? comment réagir autrement qu’en courant et en ayant peur quand on croise dans la rue un homme qui se branle devant soi ? 

« et pourtant je ne l’avais pas du tout vu, avant, avant d’être juste à son niveau, et alors c’était trop tard, je ne savais plus du tout quoi faire, s’il fallait accélérer, se mettre à courir d’un coup, de toutes mes forces, ou bien continuer à marcher comme si de rien n’était, comme si je ne l’avais pas vu, ce type qui assis, sur les marches d’un perron, se branlait, comme si je n’avais pas vu l’expression sur son visage à l’instant où lui m’avait vue »

Rattachant son vécu au destin de star sous les projecteurs de Britney, et aux réflexions de Nelly Arcan, elle réussit ainsi à construire une vision lucide, non pas simplement des rapports sociaux qui régissent le monde mais d’un système à part entière, système dans lequel tout un chacun évolue selon des rôles bien définis. 

« ce corps qui est peut-être au fond la seule chose qui vend vraiment, la chose qui se vend derrière toutes choses, qui fait vendre tout le reste, et l’économie tout entière qui ne tourne que sur le dos de ce corps-là, que tous travaillent à avoir, que les femmes s’acharnent à forger, des centaines d’heures d’entraînement et des milliers de dollars en chirurgie esthétique pour ce corps de Nelly, que les hommes se ruinent pour posséder »

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C’est ce système qui empêche de finir les phrases, qui a mené Britney Spears à se brûler les ailes sur l’autel de la gloire, qui explique le suicide de Nelly Arcan :

« elle avait dû mimer la timidité mignonne des fillettes qui ne soupçonnent pas les mauvaises intentions du monde, car. »

Il n’y a rien à expliquer, il n’y a pas de suite à ce « car », ce système qui construit et vend le désir est injustifiable, il ne peut avoir de cause. Cette manière dont Louise Chennevière interrompt parfois brusquement ses phrases rend sensible ce système oppressif qui empêche de dire, parce qu’aucune raison ne pourrait le justifier.

Pardon Britney

C’est ce système qui empêche de finir les phrases, qui a mené Britney Spears à se brûler les ailes sur l’autel de la gloire

Dans cette sorte de lettre ouverte, un récit qui prend la forme poreuse d’un hommage mais aussi d’un cri de colère, Louise Chennevière combat son propre regard misogyne : elle constate ses mécanismes de construction à l’inverse de cet « être femme » dans lequel elle ne voulait surtout pas être catégorisée :

« Pour cela, oui, je voudrais lui demander pardon, pardon d’avoir ri avec tous, pardon d’avoir si vite et si bien appris la leçon, parce que je voulais tant, sauver ma peau, d’avoir si vite et si bien appris à mépriser tout ce qu’elle avait été et une part de moi-même »

Parce que, qui n’a pas ri devant les dernières vidéos de l’ancienne pop-star, seule dans son salon, se livrant à des danses endiablées, comme si elle était encore sur scène, comme si elle était toujours cette jeune femme adulée par la Terre entière, désirée par tous les hommes. Louise Chennevière montre en ce sens comment la construction de Britney Spears en tant que star mais surtout en tant qu’incarnation totale d’un regard et désir masculins a participé à son effondrement progressif : impossibilité de contrôler sa vie, sur-médiatisation, perte de la garde de ses enfants, tutelle de son père. 

« car tout ce qui allait lui arriver, elle l’avait chanté Britney, avant de savoir, car tout cela avait été écrit par des paroliers aguerris et lucides eux, qui savaient exactement de quoi il s’agissait et comment ça allait se terminer cette histoire dont ils construisaient, un à un, les chapitres »

C’est le même processus à l’oeuvre qui a mené Nelly Arcan à se donner la mort : « parce qu’elle ne pouvait pas être toutes les femmes à la fois, parce qu’elle ne pouvait pas, et ce malgré tous les efforts qu’elle y avait mis, tout l’argent et toute la douleur, être assez pour le désir de cet home qui pourtant, disait l’aimer, et ». C’est en ce sens que le récit demande pardon tout en même temps qu’il crie collectivement : c’est une course contre ce regard, ce désir qui se construit comme « un plaisir pris seul, un plaisir arraché au corps de l’autre », mais aussi contre son propre regard de femme qui voulait à tout prix se soustraire à ce devenir, qui se dit que des femmes comme Britney et Nelly « l’ont bien cherché ». Un récit pour encourager à « être dans son corps, sans crainte et sans distance », à essayer enfin peut-être de « se sentir très vivante » en se « tenant, très loin de la peur. »

  • Pour Britney, Louise Chennevière, POL, 22 août 2024.

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