Planète B

PLANÈTE B : L’ANTICIPATION PRÉCIPITÉE

Pourtant porté par un trio féminin trois étoiles (Adèle Exarchopoulos, Souheila Yacoub et Eliane Umuhire), le second long-métrage d’Aude Léa Rapin s’avère n’être qu’un jeu d’équilibriste raté qui oscille entre envolées dystopiques et crise d’épilepsie sans grand intérêt.

Planète B

Nous sommes en 2039, au cœur d’une capitale des Alpes cernée par une horde d’écoterroristes. Sous un ciel nuit et jour pailleté de drones, les casques de réalité virtuelle ont remplacé les lunettes de soleil. Les droits de séjour prennent la forme de lentilles de contact QR codisées et s’achètent sur le marché noir. Quant aux communications, elles se font désormais via l’application OLVIP que l’on imagine elle aussi surveillée – réalité qu’un épisode de Black Mirror aurait plus finement suggérée. A priori, tous les tropes du film d’anticipation sont là, de quoi vous faire regretter les nouveaux bijoux technologiques commandés au Père Noël. 

A priori seulement. Dans une ville assiégée où les statues de saints se voient auréolées de néons rappelant celles de l’église où repose la Juliette de Baz Luhrmann, on suit les destins croisés de deux femmes. D’abord celui de Julia Bombarth (Adèle Exarchopoulos), membre de la « R », défendant une cause que la réalisatrice a sûrement jugé bon de taire. Ensuite celui de Nour Hamdi (Souheila Yacoub), réfugiée politique aujourd’hui femme de ménage dans une base militaire française. Le fragile fil rouge de ces deux histoires entremêlées ne se tisse d’abord que par l’interstice d’une carte postale contemplée par l’une et devenue virtuel paysage idyllique pour l’autre. Ce paradis perdu, c’est la prison expérimentale en bord de Riviera que rejoint Julia – ou plutôt son hologramme – après avoir été arrêtée par l’armée pour avoir tué un CRS. Chacun sa chambre et tout le confort all-inclusive pour patienter jusqu’au procès ? Si le compromis semble alléchant, tout en ce lieu sonne rapidement faux, comme ce scénario. Arrivés en Robinson Crusoé qui se voulaient justiciers, c’est donc en corps végétatifs et essorés qu’en ressortiront Julia et ses coéquipiers, tout comme nous.

Dans Les héros ne meurent jamais, Aude Léa Rapin nous invitait à voyager parmi nos vies antérieures, c’est dans un autre plan astral bancal que l’on se retrouve ici. Les fantômes sont différents mais la prison virtuelle est la même. Tels des mobs contrôlées par une intelligence terrée dans un bunker et qui n’a rien d’artificielle, nos Sisyphe 3.0 sont condamnés à revivre en boucle un programme de 24 heures dans cet aquarium aux couleurs saturées. Tamponnés d’un B sur la tempe droite alors qu’ils auraient préféré passer l’arme à gauche, ils ont alors deux options : emprunter la sortie en pliant sous la pression ou sombrer dans la folie s’ils décident de résister à la délation. Comme dans un jeu vidéo, ils peuvent souffrir mais ne peuvent pas mourir. C’est là que l’intrication avec l’histoire de Nour intervient enfin. Se rapprochant d’Hermes (Eliane Umuhire) et dans l’espoir mythifié de prolonger son droit de séjour, elle parvient à subtiliser un masque de l’armée qui se révèle être un portail entre le monde réel et la prison métaversée. De l’Olympe à la Chartreuse, il n’y a qu’un pas, ou pas.

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Dans le génial Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, sorti en salles l’été dernier, le jeu vidéo se faisait refuge d’un quotidien anxiogène et insipide. On est d’ailleurs ravi de retrouver Théo Cholbi dans le rôle instrumentalisé du CRS assassiné. Dans le dérangeant Don’t Worry Darling d’Olivia Wilde et sa perfection hors de prix, la réalité virtuelle permettait d’échapper à une condition de vie déplorable. C’est ici sous la contrainte que les dissidents arpentent les couloirs de ce fictif HP qui prend de la hauteur à mesure que ses murs se remplissent de cyborgs lobotomisés. Surveiller et punir ou surveiller pour guérir ? En toile de fond, Aude Léa Rapin essaie maladroitement de miroiter l’essai de Michel Foucault. « Ce curieux projet d’enfermer pour redresser », elle ne parvient pas à en distiller l’essence. 2039 miroite un 1984 sous une autre forme de totalitarisme castrateur même si la genèse des pratiques liberticides en place est ici survolée. À peine suggérées, les revendications diverses aux origines de la « R » auraient également mérité un temps de gestation scénique plus généreux. 

Ici encore, la réalisatrice tente de prouver par A+B que ses héros ne meurent jamais mais elle ne convainc pas. Les sons stridents des déflagrations qui rythment la pellicule ne suffisent pas à rendre justice au chaos prémonitoire que laissent entrevoir des lendemains malheureux. Malgré une course contre-la-montre enfiévrée, tout est bien qui finit (trop) bien et c’est un peu gros pour y croire. Loin de la prouesse dystopique que l’on aimerait laisser décanter, les bons ingrédients se mélangent peut-être dans le chaudron mais la sauce ne prend pas. Au lieu de suggérer l’indicible, le film s’acharne à cumuler bon nombre de clichés et raccourcis simplistes, si bien que la potion nous laisse un goût amer à force d’embrasser la caricature. Planète B aurait pu être une exploration profondément réflexive et morale mais il reste un film d’anticipation trop anticipé tant il manque d’ampleur, de rondeurs et de nuances.

Margaux Lefevre

  • Planète B, un film d’Aude Léa Rapin, avec Adèle Exarchopoulos, Souheila Yacoub et Eliane Umuhire, En salles le 25 décembre 2024.

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