Peaches goes bananas

Peaches goes bananas : sex, fruits and rock’n’roll

Après le très remarqué La Ballade de Genesis et Lady Jaye (2011), qui retraçait le parcours étonnant du couple d’artistes, la française Marie Losier, habituée des documentaires sur des figures emblématiques de l’underground, revient. Elle signe ici un film ébouriffant et libre de tout cadre, sur une chanteuse qui l’est tout autant.

Que se cache-t-il derrière ce corps difforme et joyeux, aux nombreuses mamelles et aux cheveux hirsutes, qui danse sous les éclats des éclairages violets et roses ? Il s’agit de Merrill Nisker, une artiste punk canadienne mieux connue sous le nom de Peaches et dont la chanson la plus célèbre annonce le programme : Fuck the pain away ! Tristesse et mélancolie semblent bien être chassées par les quelques coups de bassin audacieux que Peaches réalise sous les acclamations du public, tant le portrait que Marie Losier fait de l’artiste est empli d’énergie, de voracité et de joie. 

Utilisant dix-sept ans d’images d’archives filmées sur le long cours, Marie Losier fait s’entremêler plusieurs strates, des extraits de concerts aux films de coulisse. On y voit à la fois des images récentes qui posent la question du vieillissement de la femme artiste, et des archives, qui révèlent le visage de Peaches avant Peaches. C’est que l’artiste ne cesse de changer de costumes et de masques. Comment dès lors comprendre la nature de son visage ? 

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The lover gaze

On pourrait penser que le principe directeur du film est de déshabiller la musicienne de ces masques et de ces parures – elle apparaît d’ailleurs tout d’abord en sous-vêtement, lors d’un shooting – pour enfin saisir sa vraie nature. On y touche peut-être lorsque Marie Losier laisse voir des images d’archives où la jeune Peaches joue avec des enfants et chante avec eux ; se joue là quelque chose de l’ordre d’une scène primitive. En travaillant avec des enfants, Peaches aura compris comment saisir son public. Pourtant, au-delà de cette séquence, la réalisatrice ne semble pas vouloir saisir une prétendue vérité au-delà du masque de Peaches. Au contraire, Peaches goes bananas se construit par couches et explore la nature protéiforme de la musicienne.

“La réalisatrice ne semble pas vouloir saisir une prétendue vérité au-delà du masque de Peaches.”

Derrière Peaches, donc, la chanteuse Merrill Nisker apparaît, aussi touchante dans son intimité que puissante lorsqu’elle se dévoile sur scène. En creux, Marie Losier déploie la galerie de personnages qui composent la vie de Merrill : Suri, sa sœur atteinte de la sclérose en plaques dont Merrill prend le plus grand soin, deux parents adorables et admirateurs du travail de leur fille malgré son côté provocateur et un compagnon producteur. Dans le moment le plus touchant du film, une partie de ping-pong, ce dernier dépeint avec tendresse sa compagne. « J’aime tout ton être maladroit, canadien, original, contrasté, futile, chiant et détestable. » Dans ces mots, peut-être plus que dans le long-métrage entier, se trouve la vérité de Peaches. Le discours de la cinéaste ne suffisait pas ; il fallait celui de l’amoureux. 

Comme si l’admiration et l’amitié qui lie les deux artistes l’exigeait, une distance pudique guide le geste de la documentariste. Merrill Nisker est certes mise à nue, mais elle n’apparaît jamais à son désavantage. Au contraire, ce long-métrage paraît apporter une pierre de plus à la légende de Peaches. Le 16mm vintage de Losier (qui constitue aussi sa marque de fabrique) semble donc indiquer la conscience qu’a la cinéaste de participer au mythe de l’artiste, tant il impose une dimension anachronique à ces images. Cependant, nul besoin d’être un aficionado de Peaches pour se laisser porter par ce documentaire qui sonde cette figure emblématique des années 2000. Marie Loisier compresse Peaches pour n’en laisser que le jus. Un smoothie énergique et joyeux, plus efficace qu’un shaker protéiné pour fuck the pain away.

  • Peaches goes bananas, un film de Marie Losier, avec Merrill Nisker. En salles le 5 mars.

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