RENTRÉE LITTÉRAIRE. L’aphorisme, cette forme que la langue française a portée au sommet du Grand Siècle à Cioran, est aujourd’hui on ne peut plus délaissée. Quand j’ai appris que Paul Lambda s’était attaché à perpétuer cette tradition, j’en ai d’abord été heureux : mais il faut reconnaître que l’expérience n’est pas des plus concluantes.
Quelques beaux traits d’esprits
Une vision mélancolique de l’amour est à l’origine du plus grand nombre de maximes
Ce court recueil n’est pas sans qualités. On appréciera notamment – peut-être plus encore que les aphorismes proprement dits – les petites scènes saisies en quelques lignes : « Les pleureuses étaient arrivées en avance, le mourant n’était pas encore mort, elles patientaient dans le salon en prenant une tasse de thé. » ; ou encore : « ‘‘Je veux faire de toi ce que l’hiver fait avec les cerisiers’’, a lancé le petit Pablito à son pire ennemi dans la cour de récréation. » Et cette description poétique : « La bibliothécaire, dix minutes avant la fermeture de l’établissement, avait l’habitude de secouer les livres pour en faire tomber les derniers lecteurs. »
On trouvera également quelques aperçus intéressants par leur point de vue : « Je ne vieillis pas, je m’accentue. » ; « Le souvenir exagère pour qu’on le voie de loin. » ; ou encore « Il a pris son cas pour une généralité et s’est senti moins seul. » Enfin : « La guerre c’est terrible mais chez les autres c’est moins pire. »
Quelques traits d’esprit, également : souvent assez anecdotiques (« Le trou est un tunnel qui a renoncé »), mais parfois plus drôles (« Elle m’aime mais elle est asymptomatique. ») voire saisissants : « Elle lui a donné beaucoup de bonheur puis le lui a repris avec les intérêts. ».
Une vision mélancolique de l’amour est à l’origine du plus grand nombre de maximes si ce n’est profondes, du moins bien senties du recueil ; en plus des précédentes, on citera celle-ci : « Il l’a quittée assez tôt pour garder d’elle ses vingt ans. »
Une masse de bons mots superflus une fois imprimés
Cependant, disons-le tout net, la grande majorité de ces aphorismes sont manqués : soit qu’ils se veulent spirituels et tombent à plat, soit qu’ils se veulent profonds et sont superficiels. Par exemple : « La popularité du jeu rocher-arbre-hache fut de courte durée, faute de participants. » ; « Je cherche ma moitié mais quart me suffirait » ; ou « Je l’ai visité dans sa solitude mais j’ai dû rendre mon badge d’accès à la sortie. » On approche parfois de la blague Carambar : « Il avait un tel poil dans la main, pour son anniversaire ses amis se sont cotisés pour lui offrir un peigne et une brosse ». Des paradoxes creux alourdissent également le livre, tels que « L’invisible est sans doute trop évident pour être vu » (qu’on pourrait décliner à l’infini : rien n’est plus assourdissant qu’un silence, le visible est ce qu’on voit le moins, la fadeur est la plus puissante des saveurs, rien ne brûle plus que le froid, etc.).
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A vrai dire, bien peu de ces saillies sont intrinsèquement ratées, et beaucoup pourraient orner agréablement une conversation badine. Mais composer un recueil de traits d’esprit est – l’échec de ce livre nous l’apprend – autre chose que de collationner des bons mots. Ce n’est pas tant une cohérence minimale qui fait défaut, car l’on retrouve d’un bout à l’autre un certain regard qui donne son unité au livre. Mais ce qu’est capable de produire ce regard particulier n’a pas été suffisamment distillé, et les bons mots anecdotiques, que nous croisons chaque jour et qui ne sont que plaisants, noient dans leur masse les quelques authentiques traits d’esprit qui, en quelques mots, saisissent une atmosphère, ouvrent un horizon ou posent une question neuve.
J’ai refermé le livre un peu déçu de ce gâchis, et repensant à cette phrase de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. » Car ce livre, quoique très court, pèche moins par manque que par excès : autre paradoxe dont nous nous serions passés.
- Paul Lamba, La petite robe noire du néant, Cactus Inébranlable Éditions, 2024.
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