Dans un dialogue imaginé par Jean-Claude Brisville, L’Entretien de M. Descartes et M. Pascal le jeune, à partir de la rencontre des deux philosophes le 24 septembre 1647 – mais dont l’Histoire n’a retenu aucun compte-rendu –, Descartes et Pascal échangent leurs points de vue dans une chambre du couvent des Minimes. Loin des déclamations ennuyeuses du théâtre didactique, le dialogue, brillamment interprété par Daniel et William Mesguich, donne à voir et à entendre des désaccords toujours d’actualité.
C’est samedi soir. Je prends place dans la salle, entourée d’un public qui, à ma grande surprise, est très hétéroclite : des journalistes, des professeurs, des retraités, des étudiants, des amis, des spectateurs avertis et d’autres moins, me semble-t-il. Mes voisins de derrière, eux, font partie de cette dernière catégorie. J’entends l’homme dire à son épouse : « mais non, Pascal est antérieur à Descartes » et à la principale intéressée de répondre : « alors pourquoi y a-t-il écrit ‘Pascal le jeune’ sur le programme ? », « ah oui ! tu as raison, c’est ça ». Ils ignorent peut-être tout des deux philosophes et pourtant, ils sont venus assister à une pièce qui les réunit et fait résonner leur pensée. En réalité, et c’est là tout le génie du dramaturge Brisville, il n’y a pas besoin d’être spécialiste de l’œuvre de Descartes ou de Pascal pour comprendre ce qui se dit. Le texte se suffit à lui-même et parvient en cela à toucher le cœur.
Pour qui aime à interroger le monde
A ceux qui aiment à interroger le monde, Dieu, la science et ses limites, ce dialogue vous enchantera. Car c’est bien à ce propos que discutent ou plutôt « disputent » Pascal et Descartes. Descartes a alors 51 ans, Pascal 24 mais paraît d’autant plus âgé que son interlocuteur, à cause de sa mauvaise santé et de sa rigueur d’esprit qui laisse finalement peu de place à la vie et ses plaisirs. Ce rôle va comme un gant à William Mesguich qui, avec sa poudre blanche et ses lèvres violacées, campe un personnage antipathique et profondément noir. Face à lui, Descartes (son père, Daniel Mesguich) incarne le bon vivant, la rationalité et la raison, la prudence et surtout l’expérience, invitant le spectateur à prendre son parti. Le jeune Pascal, parce qu’il ne croit qu’en Dieu et refuse d’admettre que l’on puisse avoir des certitudes, se borne à la pensée dogmatique de l’Eglise, avec un penchant pour son versant le plus austère, le jansénisme. Descartes, lui, est plus volatile ; persuadé que l’esprit travaille même, voire davantage dans le vagabondage de la conscience : « Vous devriez vous promener avant que d’aller vous mettre au lit, cela relâche les sens ». Pascal lui répond alors sur le ton de la méprise : « Je n’étais pas venu, j’en conviens, pour entendre de vous ce que disait ma nourrice. »
« Je crois que vous le déduisez, Monsieur ; vous ne le voyez pas. Il est en vous comme un principe, en moi comme une chaleur. Vous le pensez, moi, je le sens : voilà toute la différence »
Il se trouve ainsi que cet entretien se solde par un échec. Descartes n’a pas su convaincre Pascal et n’en fera pas son disciple. Pascal ne découvre pas un maître spirituel et rejette son « esprit de géométrie ». Les deux savants n’ont pas la même vision de l’homme, ni de Dieu.
Descartes : « Nous ne voyons Dieu, je crois, avec les mêmes yeux ».
Pascal : « Je crois que vous le déduisez, Monsieur ; vous ne le voyez pas. Il est en vous comme un principe, en moi comme une chaleur. Vous le pensez, moi, je le sens : voilà toute la différence ».
Quelques coups de tonnerre viennent accentuer la tension entre les deux philosophes, et la lumière s’amenuise au fil de la conversation ; la mise en scène, classique dans sa forme, paraît bien la plus attendue mais aussi la plus cohérente et sert avec justesse le texte qu’elle hisse en véritable morceau de bravoure littéraire.
- Pascal Descartes, l’entretien entre M. Descartes et Pascal le jeune, écrit par Jean-Claude Brisville, mis en scène par Daniel et William Mesguich, avec Daniel et William Mesguich, reprise jusqu’au 23 juin, au théâtre de Poche-Montparnasse
Jeanne Pois-Fournier