Paris à vue d’oeil

Zone Critique vous propose un nouvel article de son partenaire, le magazine La Cause LittéraireAlors que le photographe Henri Cartier-Bresson est en ce moment à l’honneur au Centre Pompidou, retour aujourd’hui sur l’ouvrage Paris à vue d’oeil. 

7 février 2013
7 février 2013

« Auteur : Henri Cartier-Bresson ». Oui : auteur des photos. Hormis une courte introduction du photographe, un petit texte d’analyse de Vera Feyder, trois pages de l’ami André Pieyre de Mandiargues et un paragraphe en guise de remerciements du photographe à nouveau, pas de littérature ici. Le noir et blanc seul avec ses légendes (lieu lorsqu’il est connu et date de chaque cliché), et il ne reste plus au lecteur qu’à goûter les images les yeux écarquillés.

A l’origine, les photos ont été montrées lors d’une exposition au musée Carnavalet (musée d’histoire de la ville de Paris) en 1984. Toutes ? non, la sélection du catalogue initial de l’exposition a été augmentée d’inédits. Oh, on retrouvera bien les photographies incontournables qui ont contribué à la célébrité de Cartier-Bresson, et qui font presque partie de l’imaginaire collectif (comme ce gamin avec ses deux bouteilles de rouge sous le bras, un grand sourire éclairant son visage). On en verra bien d’autres tout aussi évocatrices.

Les thèmes du photographe sont présents dès ses débuts (Sans Titre de 1929) : des gens partout, pas une photo sans personne, de nombreux baisers, des enfants, l’architecture glorifiée dans ses lignes de force, un sens de la géométrie qui semble inné, et toujours des cadrages saisissants par leur évidence. Une grande humanité ressort de l’ensemble.

Cartier-Bresson témoigne de ce qui s’est passé à Paris au XXsiècle, ni plus, ni moins. Ce qu’y ont fait ses habitants, ceux qui y ont travaillé, flâné, qui s’y sont baladés, bref, qui y ont vécu un moment. Ces photos ont un aspect documentaire indéniable. Petites gens marchant d’un pas pressé, enfants à casquette ou forts des halles Baltard, vues des quais de Seine sans les voies sur berges de Pompidou : on observe avec un brin de nostalgie une époque révolue qui n’est plus et qu’on nous montre avec tant d’art. Regardez par exemple ces deux dames qui discutent, perdues entre des montagnes de cageots de bois entassés, avec la fontaine des Innocents qui en émerge comme un prolongement à l’arrière-plan. En habits de ville des années 1960, elles sont perdues dans les caisses. L’œil est attiré discrètement vers ces deux personnages incongrus, pas tant par leur échange que l’on voit discret (et les cageots les entourent, les protègent comme un cocon) que par les détails des mains, les chevelures permanentées, les lignes des jambes qui convergent irrésistiblement vers ces trois petits genoux rebondis, pommes dorées qui illuminent la composition.

Le format poche, curieusement, n’est pas un frein à l’observation. Un peu comme chez Bach où l’instrument importe peu pour rendre les formes de la musique, le petit format des photos de Cartier-Bresson permet tout autant que l’original de prendre la mesure de chaque œuvre dans son ensemble, de ses grandes directions comme de ses détails sur lesquels on tombe en fouillant l’image (les formats originaux ne sont d’ailleurs pas indiqués).

Il faut dire que les impressions sont très réussies, ce qui aide. On voit très bien le grain des originaux, et les ombres et la lumière, qui sont si fortes en noir et blanc. Seul bémol : certaines photos sont coupées en deux, on s’en serait bien passé. C’est sûrement le prix à payer pour pouvoir, à huit euros et tenant dans une poche de manteau, transporter ces 131 petites merveilles et facilement les montrer.

  • Paris à vue d’œil, Henri Cartier-Bresson, Points, 255 pages, 7 février 2013, 8 euros.
  • L’article original

 Romain Vénier


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