Pour écrire une histoire, mieux vaut ne pas multiplier les parenthèses. Cela est tout aussi véridique en art, le confort de la pensée n’est-il pas également celui de l’œil ? Toutefois, c’est manqué de fluidité de ne pas mentionner les invisibles et les rapides fulgurants de cette belle odyssée graphique. Assurément, tout a un sens et la révolution n’est jamais là où l’on pense. Le Musée Marmottan-Monet et ses quelques centaines d’œuvres nous font découvrir jusqu’au 18 juin 2023 les Néo-romantiques, ces oubliés de l’histoire de l’art.
After Picasso : que reste-t-il à l’art ?
Les néo-romantiques mirent du temps à trouver leur place sur les cimaises des musées, bien qu’ayant joué un rôle décisif : un pont entre les arts. Leur acte de naissance serait l’exposition de 1926 à la Galerie Druet. En pleine vogue de l’abstraction et du cubisme, ils se sont opposés à tous les codes qui les avaient précédés en proposant un retour vers une nouvelle forme de figuration ô combien difficile à définir.
Ces artistes profondément romantiques se destinent à travers la transcription esthétique de l’Homme, à toucher les émotions plutôt qu’à faire appel à l’intellect. Prenons garde néanmoins à ne pas cultiver un malentendu à propos du romantisme. Aujourd’hui, est décrété romantique tout ce qui, peu ou prou, relève de la sentimentalité, des compositions d’idylles et de peines de cœur. Or, est fondamentalement romantique tout ce qui est en soi et autour de soi, ce qui n’est pas pour les yeux, mais que le regard saisit.
Il y a de cela chez les néo-romantiques, et pour les apprécier, nous devons donc abandonner les critères de la composition classique (le rapport de la ligne à la ligne et de la masse à la masse) qui s’appliquaient au cubisme. Dès lors, l’ouvrage du critique américain James Thrall Soby Après Picasso constitue une véritable clé de lecture de ce mouvement, relatant l’indéniable présence (influence ?) du maître et la volonté de le dépasser. Il faudrait certainement voir dans ces artistes, des maniéristes répétant l’histoire de ces peintres qui durent survivre à l’héritage écrasant de Léonard et à Michel-Ange.
Histoire de diversités
Chacun des artistes néo-romantiques a eu sa propre personnalité, jamais à ce titre ils ne constituèrent un groupe formalisé, même géographiquement, ce que l’exposition souligne effectivement. Trouver alors une unité à ce mouvement suppose de déterminer un principe unificateur au-delà de la diversité des œuvres et des antagonismes. Curieuse entreprise, car il s’agit de trouver un signifié commun pour un art qui a mis le signifiant sur une réalité visiblement subjective. Il existe, à tout le moins, un fil rouge, une nouvelle quête artistique à travers l’humain.
Parmi les différents artistes présentés, il y a Christian Bérard avec ses portraits empreints de gravité et ses autoportraits douloureux. Pavel Tchelitchew expérimente, quant à lui, des formes plus sensuelles au travers desquelles il donne à son travail de l’anatomie une place centrale. Un aspect mélancolique ressort du bleu hivernal que l’on perçoit dans de nombreuses compositions.
La figure humaine est cruciale jusqu’à sa négation, Léonide Berman lui peint « la mer, l’espace et la solitude ». À travers les paysages sans Homme, il donne l’impression d’un espace ouvert, presque infini malgré le petit format de ses peintures. Enfin, Thérèse Debains qui partageait ses gammes chromatiques avec les autres représentants du néo-romantisme avant d’évoluer vers des couleurs claires et transparentes, proche des postimpressionnistes.
Outre les arts plastiques, on y découvre que le néo-romantique cherche à se projeter au-delà des limites et touche le regard, l’écoute, le langage et le geste par le théâtre et l’opéra. L’exposition montre l’imbrication des arts de la scène avec le cas des Berman, de Tchelitchew mais également de Bérard qui demeure connu du grand public pour les décors et costumes qu’il imagina pour La Belle et la Bête de Jean Cocteau.
Néo-romantisme, néo-classicisme, surréalisme : petit éloge des inclassables
Rapidement, les représentants de ce cercle commencèrent à se quereller au sujet de la nécessité spirituelle qui les avait réunis. Eugène Berman reconnaissait déjà que le nom même du groupe n’était pas défini : « Néo-Romantique, Néo-Classiciste, Surréaliste, toutes ces appellations seraient à la fois vraies et fausses ». C’est un critique d’art et essayiste franco-polonais, Waldemar-George, qui a baptisé ces artistes du nom de néo-romantiques.
Il serait difficile d’expliquer la raison d’une telle complexité d’identification. Il ne pourrait, après tout, y avoir de typologie de l’artiste inclassable tant son acceptation varie selon les époques. Cependant, de tous les temps, l’étrangeté a été un objet de fascination. Ces néo-romantiques sont des aventuriers de la tache, on y retrouve l’original, le bizarre, l’adventice. Au centre de leur conception esthétique, la réalité et la fiction, l’ancien et le moderne, les masques que ce soit sur la scène comme face à leurs toiles. Ces créations au monde flottant échappent finalement au piège des mots.
Observons l’œuvre-emblème de l’exposition, cette méduse au geste caractéristique de la mélancolie nous éloigne, nous emporte loin, loin des classements et des classifications. Pétrifiée plus que pétrifiante, elle a la poignante clarté de toutes les renaissances romantiques. Elle a également la négation de la raison des surréalistes, mais cette image de l’Homme est réfléchie et exprimée dans des termes plus compliqués. Parfaitement extraordinaire, elle ne ressemble à rien qui puisse l’amalgamer à une tradition.
Si le XXe siècle sacre le régime de la singularité, ces artistes reçoivent alors le couronnement propre à ceux qui échappent à toute tentative de catégorisation. Les néo-romantiques ont écrit leur histoire dans la marge et entre les lignes, à côté ou à rebours. Dans le tourbillon des Années folles, ils ont osé proposer un art mélancolique teinté de surréalisme, un art passerelle qui n’avait peut-être pas vocation à être mais à devenir.
Exposition Néo-Romantiques – Un moment oublié de l’art moderne 1926-1972 au musée Marmottan Monet jusqu’au 18 juin 2023.
Illustration : Sir Francis Rose, L’Ensemble, 1938, Huile sur toile, 200,5 x 350,5 cm England & Co. Gallery © Estate of Sir Francis Rose/photograph © England & Co