Dans un Tel Aviv dépouillé de tout contexte géopolitique, deux frères se retrouvent au cœur d’une nuit d’ivresse et font renaître leurs souvenirs, ceux de leur vie familiale passée autant que celui d’une nuit que l’un aurait passé auprès d’une inconnue 20 ans auparavant. Et si la quatrième de couverture annonce un roman « À rebours des clichés [et qui] nous questionne sur la virilité, les liens familiaux et les peines d’amour », on en vient à se demander si les éditeur•ices ne se sont pas trompé•es de livre, tant rien dans ce roman ne semble correspondre à cette description.
Le dernier livre de l’auteur Israélien Meir Shalev Ne le dis pas à ton frère paraît aux éditions Gallimard dans une traduction de Sylvie Cohen. Dans le contexte géopolitique actuel, difficile de le lire sans questionner le choix d’un décor (l’action se situe à Tel Aviv) complètement vidé de tout contexte historique et politique ou, à minima – l’auteur étant décédé en avril 2023 – de questionner le choix éditorial d’une telle publication par la prestigieuse maison Gallimard.
Lors d’une nuit d’automne, Itta – de son vrai nom Itamar – et son frère cadet Boaz, se retrouvent dans une chambre d’hôtel afin d’évoquer leurs souvenirs. L’aîné a émigré aux États-Unis il y a plus de 20 ans et revient chaque année rendre visite à la famille qui lui reste. Lors de cette nuit annuelle et rituelle, les deux frères confrontent leurs mémoires autour de verres d’alcool et de mezzes. Cette année, s’entremêle aux récits de famille un secret qu’Itta n’a encore jamais révélé à son frère ; une nuit qu’il aurait passée avec une inconnue 20 ans auparavant lors de l’un de ses voyages à Tel Aviv. Et c’est là qu’apparaît le vrai fil rouge de ce récit : la vie sexuelle de ces deux hommes. Durant plus de 200 pages, nous voilà donc à subir les discussions phallo-centrées, les remarques déplacées et autres traits d’humour gênants d’un sexagénaire masculiniste aigri et de son frère à peine moins pire. Le cadet enchaîne les réflexions dérangeantes sur le corps des femmes ou leur nature jalouse. Et pour rajouter du cliché au cliché, de quoi parlent ces hommes quand ça n’est pas question de femmes ? De voitures et de sport, évidemment ! On rirait presque de ce ridicule, si seulement c’était voulu.
Durant plus de 200 pages, nous voilà donc à subir les discussions phallo-centrées
« — On t’apprendra à conduire de manière plus sportive, décréta mon frère sur le ton protecteur qu’il adoptait parfois. Ça pourrait être amusant et améliorerait votre relation.
— Ma relation avec qui ?
— Avec ta bagnole. »
Peut-être, me rétorquera-t-on, qu’il s’agit là de second degré, qu’il faut justement voir dans la démarche de l’auteur une critique d’une masculinité périmée. Rien ne laisse le penser, aucune mise à distance n’est faite. À peine Itta ponctue-t-il le discours de son frère par quelques « mais enfin », « tu exagères », le plus souvent ils rient. Libre interprétation est laissée aux lecteur•ices pour ce qui est du comportement de ces hommes.
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En revanche, lorsqu’il s’agit des femmes, il en va évidemment autrement. Du côté des personnages, on s’en doute, les femmes ne sont que des paires de jambes, un joli minois ou au contraire, des pimbêches, des garces ou des êtres jaloux et imbus de leur personne. Chaque frère y va de son anecdote pour prouver tour à tour la sensualité ou la perfidie des femmes qu’il côtoie ou a côtoyées.
On peut penser qu’il aurait alors incombé à l’auteur de créer de personnages féminins réalistes, fins, et s’opposant à la goujaterie de leurs compagnons de fiction. Il n’en est rien. Si ce n’est quelques éléments contrastants, toutes sont présentées comme des femmes malignes, revanchardes, voire vicieuses. De la mère qui fait semblant d’être sourde pour échapper aux remarques de son mari à la jeune femme qui profite de la cécité de son amant pour le séquestrer, peut-être faut-il déjà que nous nous réjouissions que ces femmes ne soient pas passives ou dociles face à ces hommes qui les entourent ?
« Je repense souvent à cette scène et je n’ai pas besoin de lunettes pour la voir clairement : ma mère assise, mon père gisant au sol. […]
— Tu l’as laissé mourir ! C’est un meurtre !
— Il m’avait tuée bien avant, Itamar. »
En outre, ni la langue ni la structure du livre ne permettent de racheter les personnages grossiers et l’intrigue bien moins haletante qu’annoncée. On passe de l’enfance des personnages à la fameuse nuit d’amour de l’aîné, en passant par le premier amour de ce dernier sans transition, ou au contraire par des phrases préconçues dont on aperçoit encore les coutures. Certains des derniers dialogues entre les frères semblent n’exister qu’à seul fin de faire tenir les chutes entre elles, c’est fort dommage. En bref, rien dans ce roman ne nous permet ni de nous arracher au réel, ni de le questionner. Quant à savoir s’il est beau, c’est subjectif bien sûr, je ne trouve pas. Difficile, pour résumer, de lui trouver un atout indiscutable ou une qualité remarquable parmi le flot des nouvelles publications hebdomadaires.
- Ne le dis pas à ton frère, Meir Shalev, Gallimard, 2024.
- Crédit photo : CATHERINE HéLIE/GALLIMARD
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