RENTRÉE LITTÉRAIRE. Dans leurs romans respectifs sortis en cette rentrée, Les Vérités parallèles et Les Présences imparfaites, deux jeunes romanciers, Marie Mangez et Youness Bousenna, investissent la figure du journaliste pour retracer les bouleversements récents du monde mais aussi de ceux qui les racontent.
De tous les types de journalistes, les grands reporters sont certainement ceux auxquels sont associés tous les fantasmes, de l’exotisme des reportages au bout du monde aux guerres affrontées sans crainte du danger… Seulement voilà, la presse est en crise depuis plusieurs années et la figure du grand reporter a du plomb dans l’aile. Celle-ci se retrouve au centre de deux romans de cette rentrée, qui tous deux partagent un certain nombre de constats, une même volonté de raconter le monde de ces trente dernières années, mais aussi l’évolution des récits que l’on peut en faire.
Une histoire du monde et de la presse
Après un premier roman sensoriel, Le Parfum des cendres, Marie Mangez décrit, dans Les Vérités parallèles, un milieu qu’elle a elle-même fréquenté, celui de la presse, à travers un hebdomadaire fictif, Le Miroir. Son personnage principal, Arnaud Daguerre, y fait son entrée dans les années 2000 au sein du service web, que les pontes de la rédaction méprisent avant de reconnaître son importance lorsque les ventes du magazine déclinent, comme l’explique Philippe, son directeur : « Maintenant, l’enjeu est d’apporter au magazine la modernité d’internet. […] Décloisonner le web et le papier, voilà ce dont Le Miroir a besoin ». Profitant de cette nouvelle ère, le jeune journaliste devient l’une des principales plumes du Miroir, exauçant ainsi son rêve. Dans Les Présences imparfaites, Youness Bousenna, lui-même journaliste et critique, dépeint, pour son premier roman, le portrait d’un grand reporter ambitieux nommé Marc qui voit le monde autour de lui sombrer. À travers le parcours de ces deux journalistes, se déploie en effet la fresque des événements qui ont marqué l’Histoire récente, de la guerre Iran-Irak des années 1980 à la guerre civile en Syrie, en passant par les émeutes dans les banlieues françaises et la montée du terrorisme.
À travers le parcours de ces deux journalistes, se déploie en effet la fresque des événements qui ont marqué l’Histoire récente
Petits arrangements avec la réalité
Dans un monde en crise où la presse perd en légitimité, ces deux livres pointent chacun les contradictions de leurs personnages comme une manière de refléter cette situation. Car voilà, tout grand reporter qu’il est, Arnaud Daguerre, le protagoniste des Vérités parallèles, préfère inventer ses articles plutôt que d’aller sur le terrain, trop effrayé d’affronter le réel et de s’extraire du confort bourgeois dans lequel il a toujours évolué. Ainsi crée-t-il à partir d’éléments glanés ici et là des reportages qui lui valent tous les éloges et les succès, dupés par ses talents. Le roman questionne alors la production de l’information à l’heure d’internet. Quand tout peut être trouvable en quelques clics, à quoi bon aller sur le terrain – la valeur ajoutée du journalisme tenant davantage dans la manière d’agencer les faits, de les présenter et de les sublimer pour livrer des récits les plus haletants possible, peu importe les petits arrangements et les libertés prises. Une conception qui semble dire aussi beaucoup de ce que peut attendre le lecteur, ne souhaitant pas plus voir ses représentations et convictions bousculées, au risque de s’enfermer dans une réalité alternative. Mais la culpabilité du faussaire finit par rattraper Arnaud Daguerre qui ne sait pas faire autrement, ayant franchi depuis trop longtemps la limite, « condamné à l’affabulation, condamné à la fiction, à perpétuité ». L’anxiété qui gagne Daguerre, inquiet que l’on découvre l’imposteur qu’il est, s’empare dans le même temps du récit. Celui-ci questionne ainsi l’image idéalisée du grand reporter et sa légende glorieuse savamment entretenue, à l’instar de ceux qui entourent Daguerre et délivrent constamment les anecdotes de leurs exploits.
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Un journaliste face à son destin
Dans Les Présences imparfaites, ce fantasme du grand reporter à la Joseph Kessel est au cœur de la chronique que dresse Youness Bousenna du parcours de son protagoniste journaliste. Car si cet homme sans qualité a choisi ce métier, c’est pour s’extraire de la médiocrité de l’existence, répondre à « un goût d’intensité » et côtoyer « ces parties du globe où il se passe quelque chose ». Envoyé à Bagdad au beau milieu des années 1980, il est grisé par le danger des champs de bataille autant que par les intrigues politiques. Après avoir frôlé la mort, il n’en continue pas moins de couvrir le Moyen-Orient pour Le Figaro, tout en assistant au basculement du XXe au XXIe siècle, entre fin de l’histoire et idéaux d’une nouvelle ère. Si le journaliste apprécie le grand crédit social que lui confère son statut, qu’il double d’une carrière de romancier, son regard sur ce qui l’entoure est parfois gagné par l’indifférence, que seule l’adrénaline de l’actualité paraît pouvoir dissiper. Le tout dans un contexte étouffant où la presse connaît les turbulences des chutes des ventes et des plans sociaux qui ravagent peu à peu les rédactions des journaux. De l’effervescence qui l’excitait tant à ses débuts, Marc constate une forme de déliquescence à laquelle seule semble répondre une violence déraisonnable. Alors que grandit aussi une lassitude intime marquée par le poids des années, est remise en cause sa capacité à pouvoir toujours saisir le cours du monde et la réalité dans toute sa crudité. Celle à laquelle ces deux personnages de journalistes ne semblent pouvoir échapper.
- Marie Mangez, Les Vérités parallèles, Finitude, 256 p., 20 €
- Youness Bousenna, Les Présences imparfaites, Rivages, 208 p., 19,50 €
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