Marc Cheb Sun : Croix de feu et punchlines

Dans Et Bang !, Marc Cheb Sun livre un polar engagé au cœur d’un Pays Basque inattendu, où tensions raciales et luttes sociales s’entremêlent. Porté par une trame musicale immersive, composée par Marc Cheb Sun et accessible via des flashcodes intégrés, ce roman se distingue par sa plume incisive, explorant les fractures identitaires contemporaines.

Et bang ! Marc Cheb Sun

Marc Cheb Sun, avec Et Bang ! propose une œuvre singulière qui dépasse le cadre traditionnel du polar. Ancré dans un Pays Basque à l’identité forte, le roman se distingue par sa capacité à aborder faits divers, enjeux sociétaux et innovations artistiques, créant une expérience littéraire et sensorielle. 

« Nous sommes en guerre, c’est un constat. Une guerre secrète. Une reconquête »

Le choix du Pays Basque comme décor principal est à la fois surprenant et habile. Ce territoire, souvent réduit à ses clichés culturels, rustiques et touristiques, devient ici un théâtre de conflits identitaires. La description du quotidien de Lucien, Kevin et FilOne, jeunes rappeurs blancs inspirés par la culture des ghettos noirs américains, met en lumière une jeunesse rurale en perte de repères, étouffée : « Lucien, il a les boules, de la gorge jusqu’au ventre, un peu partout en fait. Les crampes tordent son corps, ses muscles brûlent. Il voudrait exploser, hurler sa rage, mais tout reste en lui, à bouillonner, dans son ventre, dans ses tripes, ses intestins. Cette vie-là, il n’en veut plus, il n’en peut plus. Il la vomit, il la dégueule. C’est bien comme ça qu’il voit sa life : bloqué, coincé, sans perspectives, fait comme un rat  ».

La frustration et la quête d’évasion par le rap de cette bande d’adolescents désoeuvrés offre une résonance universelle.

La frustration et la quête d’évasion par le rap de cette bande d’adolescents désoeuvrés offre une résonance universelle. Ces jeunes Basques, loin de toute véritable affinité avec la culture populaire outre-Atlantique, se trouvent pris dans un tourbillon de quête identitaire. Ils cherchent à se définir dans un monde qui les ignore, d’où leur appropriation de cultures extérieures.

Ce livre, c’est le récit de Lucien, jeune homme égaré, en proie à un ennui profond, une sorte de lassitude qui le consume. Il ne sait où diriger sa colère, cette rage sourde qui bouillonne en lui prisonnier d’un milieu corrompu, éloigné des lieux où l’esprit s’élève,  les bibliothèques, les musées, il est enfermé dans une existence étroite et stérile, sans espoir de salut. Il trouve donc, et malheureusement, dans la haine, l’ultradroite et le milieu identitaire une échappatoire, un exutoire à sa rage informe. Là où il n’y avait que vide et désespoir, ces idéologies lui offrent l’illusion d’un sens, d’un ennemi à combattre, d’une appartenance. Mais cette fuite n’est qu’un piège, une prison différente, plus étroite encore, où sa colère se transforme en dogme, et son errance en aveuglement.

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L’intrigue gagne en intensité avec la disparition inexpliquée d’un jeune homme noir et l’apparition de croix de feu, symboles glaçants d’un racisme latent. Ce basculement dans une atmosphère oppressante, presque lynchéenne, donne au récit une profondeur dramatique et une portée sociopolitique indéniable. La présence de Père Jean, figure spirituelle accueillant les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, ajoute un contrepoint moral et symbolique à cette noirceur, questionnant les valeurs d’accueil et de tolérance dans une société fracturée.

Son et sens : la mélodie de Et Bang !

En lisant ce livre, il est impossible de ne pas avoir en tête les paroles de la chanson Bang Bang (My Baby Shot Me Down), qui sont réparties de manière éparse tout au long de l’ouvrage. En effet, l’un des aspects les plus innovants de Et Bang ! réside dans sa dimension musicale. Grâce à des morceaux originaux composés par Marc Cheb Sun lui-même, accessibles via des flashcodes intégrés au livre, la lecture se transforme en une véritable expérience multisensorielle. Cette bande originale, ancrée dans les sonorités urbaines et révoltées, accompagne et amplifie les sentiments des personnages et les tensions du récit. Cette innovation montre la volonté de l’auteur de repousser les limites du genre littéraire, tout en rendant hommage à l’énergie contestataire de la culture punk et hip-hop.

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Et Bang ! de Marc Cheb Sun trouve son écho le plus frappant dans Les Ombres d’Euzkadi de Jean Weber. Ces deux romans, dont les récits se construisent sur le motif du rejet de l’autre, explorent en effet la question du communautarisme au Pays Basque. Dans Les Ombres d’Euskadi, Jean Weber dépeint avec minutie les tensions identitaires qui rongent cette région. À travers le récit, où disparitions et rapports de pouvoir se croisent, Weber explore lui aussi les dilemmes et conflits d’une région tiraillée entre ses traditions séculaires et les bouleversements de la modernité.

Une dévotion solidaire et politique affirmée

L’auteur de Et je veux le Monde s’inscrit dans une tradition d’écriture engagée, à l’intersection du roman noir et de la critique sociale. Sa collaboration avec Tristan Boursier, politologue spécialiste des extrêmes droites, enrichit le roman d’une analyse sociologique pertinente. Cette démarche souligne le souci de l’auteur de contextualiser et approfondir les dynamiques de xénophobie et de radicalisation qui imprègnent l’histoire.

L’auteur de Et je veux le Monde s’inscrit dans une tradition d’écriture engagée, à l’intersection du roman noir et de la critique sociale.

Par ailleurs, son parcours en tant que cofondateur de Respect Mag et de D’Ailleurs et d’Ici atteste de son engagement de longue date pour la représentation des minorités. Et Bang ! prolonge cet engagement avec une plume énergique et sans concession. En dénonçant les violences ethniques, Cheb Sun offre une voix aux marginalisés et propose une lecture satirique des normes établies.

  • Et bang !, Marc Cheb Sun, MultiKulti Editions, 2024.
  • Crédits photo : © Florian Dacheux

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