Des tissus fins pour remplacer l’épais manteau : c’est le sud à Paris. Mais sentez-vous ces effluves de thym et d’origan ? Entendez-vous ces cigales, ces grillons ? Tout ceci chantonne joyeusement du côté du musée d’Orsay, enrobant de notes et de parfums clairs les corps ronds des Muses d’Aristide Maillol. Amoureux transi de son Roussillon et du galbe des femmes, le sculpteur de Banyuls-sur-mer modèle avec une poigne et une caresse très reconnaissables de nombreux corps féminins. Du 12 avril au 21 août, ses Galatées s’exposent gigantesques et minuscules – grandioses, toujours – au musée d’Orsay. Il est encore temps de les admirer.
Le chemin vers l’harmonie
« Je relève la jupe de ma femme et je trouve un bloc de marbre. » Aristide Maillol
1882, un bonhomme, les poches vides, le visage fin et long, et la barbe qui darde une ambition folle débarque à Paris. Ici, son accent détonne. C’est Aristide Maillol qui, armé de pinceaux, convoite l’académie des Beaux-Arts. À défaut de pouvoir y accéder tout de suite, il intègre l’atelier d’Alexandre Cabanel. Trois ans plus tard, les Beaux-Arts lui ouvrent enfin les portes, mais ce sera une déception. Pour Maillol, l’inspiration est ailleurs : du côté de Signac, de Courbet, ou de Gauguin.
Il faut dire qu’il avance à tâtons. Le gris, le marron s’effacent de sa toile. Sa peinture s’illumine de jaunes et de verts pastels. Ce sont peut-être aussi, les couleurs de son enfance, celle du soleil et de la vigne. Il peint de jeunes femmes. Les corps et les décors sont cerclés. Les rondeurs déjà – le galbe d’un menton, d’une mâchoire, ou celui d’une épaule – signent l’œuvre d’un peintre qui tout doucement trouve son leitmotiv.
Le portrait de femme peint en 1891 offre le mystère d’une modèle qu’on devine particulièrement belle et dont on ne voit pourtant ni les yeux – engloutis sous un vaste chapeau noir, rehaussé de quatre fleurs sanguines – ni les mains placées en dehors du cadre. Les courbes simples du bas de son visage, la finesse de ses lèvres légèrement pincées sont assez de nourriture dont le regard peut se repaître. Et le décor nu, jaune vif, met encore plus en lumière ce bout de femme qui, semblant se glisser délicatement près de nous, attire irrésistiblement l’attention.
Mais Maillol n’est pas que peintre. Dans cette exposition, les tableaux colorés jouxtent de grandes tapisseries. C’est que le jeune homme sait tout faire : il peint et brode en s’inspirant notamment des formes de l’art nouveau contemporain, et du mouvement Nabis. Mais en plus, il modèle, il fond, cuit et pratique l’émail.
Un nouveau motif se décline désormais, un corps qui est reproduit partout : c’est celui de Clothilde, une jeune fille de Banyuls-sur-mer comme lui, qu’il vient de rencontrer et dont l’homme et l’artiste tombent immédiatement amoureux. Elle porte en elle cette harmonie qui lui est si précieuse : son galbe, sa rondeur, c’est l’inspiration faite chair. Clothilde devient Madame Maillol.
Les femmes ondoyantes
L’artiste est un touche à tout : il aborde différents médiums, il réalise des œuvres de divers formats. Pour autant, il ne s’éparpille pas. Les sujets de création sont les mêmes. En quête d’harmonie, il crée des séries et multiplie les reproductions du corps féminin – celui de Clothilde – faits de courbes et de contre courbes. Comme en écho, les ondulations de la mer qui chatouillent les pieds des maisons de Banyuls-sur-mer l’inspirent. Il joue avec les ronds tant et plus qu’il abolit les angles et les arêtes. Le tableau Femme dans les vagues peint en 1895, présente une femme lasse, les cheveux défaits qui serre contre sa poitrine nue une étoffe blanche aux reflets bleus. C’est une Vénus sublime. C’est Clothilde. La vague met en valeur le modèle féminin, elle l’entoure, le caresse, le porte aux nues. Tout ondoie. Cette œuvre dit l’amour que l’artiste porte pour sa région et pour sa femme. Ce motif plaît si bien à Maillol qu’il en teste la résistance à travers d’autres supports : il le brode, le grave, le sculpte. Il lui impose la profondeur quand il le façonne dans l’argile, ou l’aplat quand il en fait une tapisserie.
Les sinuosités de la mer semblables à celles du corps des femmes se mélangent bientôt et fusionnent tout à fait dans des sculptures immenses. Les formes deviennent de plus en plus simples.
Les sinuosités de la mer semblables à celles du corps des femmes se mélangent bientôt et fusionnent tout à fait dans des sculptures immenses. Les formes deviennent de plus en plus simples.
Méditerranée est une nouvelle série qui cristallise l’empreinte de Maillol. Le corps est un monument : dense, solide, géométrique. Il trouve bientôt l’équilibre dans l’épure. De nouveau, il n’y a que des lignes courbes. C’est un petit tour de force puisque l’artiste joue avec le triangle, trois fois présent dans l’œuvre. Il y a ce premier triangle formé par la jambe repliée, cet autre dessiné par le bras qui soutient la tête, et un autre encore modelé par le bras qui permet de trouver l’équilibre à l’arrière du corps . Ici, c’est le triangle qui forme l’harmonie.
Maillol, architecte
« C’était de l’art, de l’art pur, grand, puissant, exquis, austère, de la force, de la joie, de la grâce… un enchantement, un miracle de goût… »
Octave Mirbeau, Aristide Maillol, 1921
Désormais, la sculpture de Maillol occupe un champ important dans le petit univers artistique parisien : Léda, présente dans l’exposition, est admirée par Rodin, elle est même peinte dans un tableau d’Edouard Vuillard, Fleurs et Léda. Les volumes des corps qu’il façonne s’épanouissent dans la simplicité des formes, dans leur pesanteur aussi. Plus qu’un sculpteur, l’artiste est un architecte. Parfois même, un magicien. Il parvient à allier le lourd et l’aérien. Ses Galatée sont maintenant allégoriques comme l’Air une œuvre-monument réalisée en hommage aux héros de l’aviation. Gigantesque, elle tient un équilibre fragile : bras et jambes relevés, elle repose sur une toute petite partie de son flanc. Le vide présent entre les jambes et les bras favorise l’impression de légèreté, celle de l’air. C’est aussi ce qui met en évidence l’habileté prodigieuse du sculpteur. D’autant plus que la rondeur massive des formes, la solidité des membres suggèrent au contraire la lourdeur du corps. L’artiste réalise un exploit pour mettre en scène le mouvement dans l’arrangement harmonieux des formes, dans leur équilibre.
Les ouvrages sculptés de l’artiste sont donc pensés à travers leurs volumes. Maillol traite la matière en portant aussi une attention très particulière à l’incidence de la lumière, et de l’ombre sur les courbes féminines. C’est l’éclat lumineux qui, drapant les formes pures, fait vivre l’œuvre. Le musée d’Orsay présente ainsi en dehors de l’exposition, dans le grand hall, soumise aux jeux de la lumière du jour, une sculpture de l’artiste pour mieux rendre compte encore de l’importance de l’éclairage naturel dans l’œuvre de Maillol.
Aristide Maillol est un artiste complexe et complet. Cette exposition rend compte du foisonnement de son œuvre, de sa pensée et de son travail acharné. Il rayonna parmi l’élite artistique à travers l’admiration qu’il réussit à susciter, et les critiques dithyrambiques d’Octave Mirbeau, notamment, un critique d’art qui en fit un portrait particulièrement touchant. Le musée d’Orsay donne à voir sa quête d’harmonie, tout en présentant avec une clarté remarquable le parcours personnel épatant de l’artiste.
Musée d’Orsay, Aristide Maillol – La quête de l’harmonie, jusqu’au 21 août 2022.