L’île de Giovanni relate l’invasion soviétique dans une petite île japonaise après la seconde guerre mondiale. Adoptant le point de vue de deux enfants, Mizuho Nishikubo réalise un film d’animation magnifique où l’amitié et le rêve tentent de contrer l’horreur de la guerre.
Dès les premières images, un éblouissement esthétique. Le vol gracieux des mouettes, les reflets du soleil sur la mer, la coque du bateau brisant les vagues. Mizuho Nishikubo est un virtuose de l’animation, il le prouvera tout au long de L’île de Giovanni.
Sur le pont, deux personnes âgées contemplent le petit bout de terre qui approche : l’île de Shikotan, tout au nord du Japon, à quelques brassées de la Russie. « J’ai envie d’oublier, mais je n’y arrive pas… » glisse la vieille dame à son ami. 50 ans qu’ils n’ont pas posé le pied sur leur île natale. Du bout de ses pinceaux et s’inspirant de faits historiques, Nishikubo va alors nous plonger dans leurs souvenirs mêlant guerre, amitié, résistance et poésie.
Drapeau rouge
1945. Junpei et son jeune frère Kanta vivent en harmonie avec la nature sur l’île de Shikotan, « le meilleur endroit » en langue aïnou. Débordant d’énergie, le film démarre en fanfare avec la chasse aux œufs des deux enfants sur les falaises. Festival de couleurs, tourbillon d’images, cascade sonore : embarqués à toute allure dans leur sillage, le souffle nous manquerait presque !
Mais le 15 août, l’honneur nippon est en berne. Les Japonais s’inclinent devant le transistor collectif : Hirohito annonce la défaite de l’empire du Soleil levant face aux Alliés. « Nous avons résolu d’ouvrir la voie à une ère de paix grandiose pour toutes les générations à venir en endurant ce qui ne saurait être enduré et en supportant l’insupportable. »
Le discours de l’empereur annonce de funestes heures pour Junpei, Kanta et les autres habitants de Shikotan. Quelques jours après, l’envahisseur soviétique débarque dans cet Eden perdu du Pacifique. Le trait de crayon du réalisateur s’estompe. La lumière devient crue, les contours flous, les tons fades. Junpei et Kanta assistent impuissants à l’occupation de leur maison par un commandant russe et sa famille.
Évasion féerique
Heureusement, les deux garçons s’évadent grâce au livre offert par leur père : Train de nuit dans la voie lactée, une nouvelle réelle écrite par Kenji Miyazawa en 1927. Comme Giovanni et Campanella, leurs héros de papier, Junpei et Kampa rêvent qu’ils s’envolent dans la galaxie à bord d’un train magique. C’est ici l’occasion pour Mizuo Nishikubo de créer de fantastiques décors étoilés traversés par une locomotive à vapeur translucide.
Le réalisateur joue ainsi avec son style pictural pour l’adapter au propos. Ou quand la forme fait corps avec le fond. « Les scènes du présent sont exprimées de façon réaliste, mais pour les souvenirs du héros, je voulais qu’on perçoive que c’est le fruit de sa mémoire, avec des détails effacés ou prononcés sur les personnages et les décors dans le trait. Et enfin pour les visions du héros, je voulais que l’univers se démarque avec les autres et de façon documentaire, je voulais qu’on ressente dans le trait les espoirs, les désirs, l’imagination du héros », explique Nishikubo.
Le réalisateur joue ainsi avec son style pictural pour l’adapter au propos. Ou quand la forme fait corps avec le fond.
Les dessins de son héros dans le film permettent même une mise en abyme stylistique. Devenu ami avec Tanya, la jeune voisine soviétique qui occupe sa maison, Junpei la dessine au crayon sur son grand cahier. Lors d’une escapade nocturne, la jeune blondinette danse. Le réalisateur a choisi de la représenter avec seulement quelques traits qui rappellent la calligraphie, comme si elle était sortie des œuvres de Junpei.
L’imaginaire pour contrer la guerre
En peignant l’amitié de Junpei et Tanya, Mizuho Nishikubo veut croire que la guerre n’est pas une fatalité. Ainsi, les pots de fleurs qui fracturent la cour de récréation en deux parties, l’une japonaise, l’autre soviétique, seront rapidement brisés par des enfants dont le principal souci n’est pas l’acquisition d’un petit bout de terre.
Protégés par un oncle fantasque qui se définit comme un « vagabond immortel », Junpei et Kanta seront pourtant rattrapés par la froide réalité de l’occupation. Transportés par Mizuho Nishikubo dans une histoire à rebondissements, les deux frères tenteront de se raccrocher à leur train spatial pour changer d’aiguillage et choisir le wagon du bonheur.
- L’île de Giovanni de Mizuho Nishikubo, 28 mai 2014.
Lola Cloutour