L’artiste Lafawndah, compositrice et artiste pluridisciplinaire, et Trustfall, musicien et cinéaste, s’associent pour revisiter une séquence du grand mythe sumérien l’Épopée de Gilgamesh : celle de la venue d’Inanna dans les Enfers, ce « Monde d’en bas », pour y retrouver sa sœur Ereshkigal gardienne des lieux. Cette performance d’une cinquantaine de minutes, qui a été représentée à La Villette, se veut l’esquisse d’une version opératique plus longue intitulée « La Descente d’Inanna ». Revenir au commencement de tout, en choisissant le premier texte littéraire qui nous soit parvenu, est déjà en soi une expérience presque inédite, tant sa portée est encore sous-estimée dans notre imaginaire collectif.
Inanna, déesse du « Monde d’en haut », des vivants, est en colère contre Gilgamesh, roi de la cité d’Uruk, car il a refusé ses avances. Elle organise alors une guerre contre sa cité. Le mari d’Ereshkigal envoyé au front pour combattre Gilgamesh périt dans cet assaut. La performance commence lorsque Inanna descend aux Enfers rencontrer sa sœur enceinte et déjà veuve, afin d’implorer son pardon pour la mort de son mari. Les cinq premières minutes de la pièce plantent les enjeux scénaristiques, avec une ambiance visuelle et sonore bien travaillée : un petit carré de lumière qui représente l’unité des commencements avant la désagrégation en deux morceaux que représentent le monde d’en haut et le monde d’en bas. Cette scénographie semble ouvrir à la possibilité d’un travail métaphorique voire philosophique. Puis une performeuse avec une aura mystérieuse exécute des gestes discrets, sensuels, dont on ne perçoit pas vraiment la portée, mais qui ne dérange pas l’ensemble. On suit les errements d’Inanna dans le Monde d’en bas, en quête de sa sœur. Ses pas rencontrent des blocs de farine qu’elle disperse et qui impriment ses empreintes de pieds sur le sol, comme les traces de mille passages d’ombres dans ces ténèbres.
Malheureusement, après cette belle entrée en matière, la mise en scène, bien qu’intéressante, avec de beaux effets de lumière, de clair-obscur et de fumées, n’arrive pas à sauver la monotonie de l’ensemble de la pièce que portent les deux comédiennes et chanteuses qui interprètent le rôle d’Inanna, l’actrice Jisca Kalvanda, et d’Ereshkigal, l’actrice Eliane Umuhire. Celle-ci souffre en effet d’un manque de direction artistique et de rythme : les répliques sont presque systématiquement suivies par des silences assez pauvres de sens, ce qui nous fait parfois passer de longues minutes sans comprendre où la mise en scène veut nous mener, bien que le sort d’Inanna soit déjà scellé : elle sera pendue à un clou.
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Se dégage un sentiment mitigé à la sortie de la pièce donc, dont on ne sait s’il provient de la qualité proprement performative des interprètes ou de la direction artistique. La composition musicale originale, assez convenue, n’arrive pas non plus à nous stimuler au point d’oublier les défauts exposés ici. Il aurait fallu davantage approfondir le travail de cette inquiétante étrangeté et explorer plus loin la monstruosité tantôt sensuelle, tantôt violente des protagonistes, qui n’ont que superficiellement investi la recherche corporelle. Et n’est-ce pas aussi le rôle de la « performance » que de triturer les narrations pour mettre en évidence certaines caractéristiques d’une œuvre, en ouvrant sur ses sens cachés, ou muets ? On aimerait alors trouver quelque chose de plus qu’un simple déroulé des événements et être pris, en tant que public, par un saisissement plus profond, que pourrait exprimer devant nous ce duo de sœur, par leur complexité relationnelle et ce qu’elles symbolisent : la vie et la mort, le jour et la nuit, etc.
On aimerait alors trouver quelque chose de plus qu’un simple déroulé des événements et être pris, en tant que public, par un saisissement plus profond
Tous les ingrédients sont là, mais le travail ne semble pas suffisamment abouti. Il faut donc espérer que cette première mise en scène, avec ses qualités et ses défauts, soit une étape préliminaire mais encourageante vers la version opératique finale. Affaire à suivre, donc.
- Direction artistique et mise en scène Lafawndah et Trustfall Interprètes Jisca Kalvanda, Angel Preciado Porozo, Eliane Umuhire
- Livret Emily King Composition musicale Lafawndah, Mohammad Reza Mortazavi, Joseph Schiano di Lombo et Trustfall
- Regard chorégraphique Betty Tchomanga Regard extérieur Lynda Rahal Création lumières et scénographie Matière Noire Développement et diffusion Clémentine Dubost
- Production Honey Colony
- Coproduction Initiatives d’Artistes / La Villette – Paris, Arsenic – Centre d’art scénique contemporain
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