Miyazaki rate son dernier vol

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© Nibariki – GNDHDDTK

Pour son onzième et dernier long-métrage, Miyazaki quitte le registre fantastique qui lui allait si bien pour s’engager dans un dessin animé réaliste au goût d’inachevé.

22 janvier 2014

 « Le vent se lève, il faut tenter de vivre. » Hayao Miyazaki inaugure son dernier long-métrage avec ce vers de Paul Valéry tiré du Cimetière marin. Une ligne pleine de promesse pour le spectateur impatient, un espoir poétique. Un son qui s’accorde parfaitement à l’univers du réalisateur japonais. Mais le compositeur a raturé sa partition. Après une première partie originale et enthousiasmante, le rythme du film s’affaisse dans la deuxième et nous laisse avec le sentiment d’une symphonie inachevée, presque ratée.

Lors de la présentation du Vent se lève à la Mostra de Venise 2013, les studios Ghibli ont annoncé que l’œuvre serait la dernière de Miyazaki. Trente-cinq ans après Le château de Cagliostro, le maître de l’animation japonaise range donc ses rêves et ses couleurs animées de manière décevante. Son ultime héros s’appelle Jiro. Fasciné par l’aviation, le jeune homme ne rêve que d’une chose : concevoir des machines voantes. Abandonnant toute frasque fantastique, ce qui était pourtant l’une de ses marques de fabrique, Miyazaki dépeint pendant deux heures la vie de ce jeune idéaliste perdu dans un monde qu’il comprend mal.

Un réalisme inhabituel

Loin du Château ambulant ou de Mon voisin Totoro, Le vent se lève s’ancre dans le réel. A commencer par le personnage principal lui-même. Le réalisateur s’est en effet inspiré de deux Japonais ayant existé au XXe siècle pour le créer : l’ingénieur en aéronautique Jiro Horikoshi et le romancier Tatsuo Hori. Derrière ses lunettes de myope, le jeune Jiro du film va vivre les mêmes épisodes historiques que ces deux inspirateurs.

Il voyage en train lorsque se produit un terrible séisme. Dans une scène magistrale, Miyazaki recrée le tremblement de terre de Kantô qui dévasta une partie du Japon en 1923. La terre se soulève et gronde comme un monstre. Le calme revient soudain, puis s’enfuit de nouveau dans un nouveau rugissement. Musique et cris sont absents. Ne restent que le bruit du vent et la rumeur des gens. Au milieu d’une foule silencieuse et tranquille, Jiro attend au milieu des braises et des cendres qui volent. Cette passivité semble symboliser la fatalité qui frappe le Japon, pays victime de drames sismiques et nucléaires. Est-ce une critique ou un simple constat ? Le réalisateur nous laisse trop seuls pour en juger…

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© Nibariki – GNDHDDTK

Lors de ses voyages en train, le héros assiste aussi, impuissant, à la crise économique des années vingts. Aux faillites ont succédé la misère sociale, l’exode rural et les enfants abandonnés. D’autres films de Miyazaki sont emprunts d’une certaine mélancolie (Le Château dans le ciel, Le voyage de Chiriro…) mais c’est la première fois qu’il inscrit cette tristesse dans des événements réels. Seuls les rêves de Jiro permettent une incursion dans un monde imaginaire. Il contemple les avions du futur en discutant avec l’ingénieur italien Caproni qui, lui aussi, a réellement existé. Malheureusement, ces moments esthétiques et apaisants se cantonnent à la première partie du long-métrage.

Un scénario inachevé

Il en est de même pour le vent, l’un des meilleurs alliés de Miyazaki lorsqu’il dépeint la nature et ses superbes paysages. Ce souffle qui décoiffe les cheveux de Jiro, qui fait voler son chapeau, qui agite les herbes et pousse les nuages, mais qui perd tout son allant lorsque le héros retrouve un vieil amour perdu.

Il reconnaît cette jeune fille par hasard, alors qu’ils séjournent tous les deux dans un hôtel. Aucune explication n’éclaircit ce mystère : que fait Jiro là, dans la montagne ? Il n’a pas ses plans d’ingénieurs avec lui et semble avoir oublié sa passion pour les avions. Ces retrouvailles se produisent donc sans aucune connexion avec les scènes précédentes. Plates et sans saveur elles enferment les deux amants dans des discours frôlant la niaiserie : « J’avais oublié l’existence des arc-en-ciels », s’émeut Jiro. « C’est magnifique de vivre ! » lui répond Nahoko.

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© Nibariki – GNDHDDTK

La cohérence du film se perd à cet instant. Déconnecté de l’histoire, suivant avec peu d’intérêt la suite des aventures des amoureux, on s’interroge sur cet ultime jet miyazakiesque. Où sont passés les personnages farfelus et attachants de ses précédents films ? Ici, seuls le chef et la petite sœur de Jiro ont quelques aspérités. Le héros lui, poursuit l’objectif de sa vie en négligeant sa compagne. Certes, il se questionne sur l’intérêt de construire des avions pour faire la guerre : « Le poids de l’avion est trop lourd… Il faudrait supprimer les mitrailleuses. » Mais jamais il n’agit en conséquence. Le virtuose réalisateur japonais a-t-il oublié toute idée de rébellion, de remise en cause des règles établies, de préservation de la paix et de la nature ? Ou applique-t-il à son héros le fatalisme japonais évoqué plus haut ?

Miyazaki clôt donc son œuvre avec un film différent, voire décalé, par rapport à ses précédentes réalisations. Esthétiquement superbe, Le vent se lève peut se voir comme une critique de la société japonaise (le mari travaille trop, la femme reste au foyer) et de la course à l’armement (« Au lieu de bombes il y aura des passagers dans mes prochains avions » rêve l’ingénieur Caproni). Mais le réalisateur n’a peut-être pas osé aller au bout de son idée. L’histoire d’amour alambiquée pollue le propos initial et brouille des pistes de réflexion intellectuelles pourtant intéressantes. Dommage que Hayao Miyazaki n’ait pas prévu un autre film pour aller au bout de son propos.

  • Le vent se lève, de Hayao Miyazaki. 22 janvier 2014.
  • La bande-annonce
Lola Cloutour

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