Perrine Le Querrec publie deux recueils de poésie en cette rentrée de janvier, La fille du chien, aux éditions des Lisières, et Warglyphes, aux éditions Bruno Doucey. Deux recueils différents mais portés par le même souffle si propre à l’écrivaine. Zone Critique présente aujourd’hui, dans sa section dévolue à la poésie contemporaine, cette exploration épique du désastre contemporain de la guerre : Warglyphes.
L’écriture sans concession de Perrine Le Querrec nous emporte toujours avec elle, là où elle nous désarme ; mais ce qu’elle désarme, au seuil de la lecture, est avant tout le moment rassurant de la rencontre avec l’œuvre. Car les vraies œuvres demeurent bien celles qui malmènent, troublent et marquent. Et qui pourtant ne ferment pas, cherchant plutôt la multitude et l’inconnu – voir alors sans doute le véritable geste humaniste comme celui qui refuse la passivité de l’exclusion, et se pense ainsi : « Si je parle d’une je ne parle de rien, si je parle de toutes j’en oublie si je parle de toi je tais les millions si les milliards me hantent je te perds. »
Le Querrec nous étourdit encore ici par sa poésie d’une radicalité bienvenue en ce qu’elle ne fait aucun compromis avec la violence du monde.
Le Querrec nous étourdit encore ici par sa poésie d’une radicalité bienvenue en ce qu’elle ne fait aucun compromis avec la violence du monde – ces précédents recueils peuvent en témoigner, d’une pluralité thématique riche qui renseigne malgré tout et surtout de la dimension systémique des pouvoirs d’oppression, du capital, de la sexualité subie, de la guerre, car tout ce qui s’oppose à l’émancipation des individus s’affirme dans une démarche belliqueuse, contre laquelle vient se positionner la parole poétique. Non pas comme un rempart car il n’y a rien de défensif dans la poésie de Le Querrec, mais comme arme dialectique, pour un persécuté persécuteur eût dit un grand poète.
« Pendant que nous parlons
le ciel est gras de mouches
et le massacre s’accomplit »
Se fondant en permanence sur une saisie du réel Le Querrec retranscrit par l’écriture une expérience du monde à mesure qu’il heurte.
« Saluer les blindés
départ dans la neige
Un très jeune garçon entre dans une caserne
un très jeune garçon travaille dans une usine
son père venant de décéder »
Là où il ne nous reste que les
« Images en couleur
la même foule
recueillement devant le mémorial »
Warglyphes ou la guerre partout, l’horreur de la guerre ou la banalisation du mal, et l’effroi, enfin, du silence. Une manière de déconstruire les logiques à l’œuvre dans la geste belliqueuse en lui répondant d’un souffle cahoté qui malmène notre conscience confortable du monde.
« Nous sommes ce qui nous est arrivé
Serons à jamais le détail les absences
Le prix à payer »
Et voir jusqu’à l’excès la vérité nue de ces
« Hommes aux yeux en amandes et aux dents noires
Contrées aux paysages indolents
Devenus pour nous un problème irritant
Nature hostile où il faut craindre l’embuscade à chaque pas »
« […] la langue populaire la langue de la peur la langue pute la langue servile la langue dominante la langue dominée la langue massacrée la langue de circonstance la langue du terrain la langue nue la dernière langue la langue tranchée »
On ne sort pas indemne, mais il faut bien cela quand on vous promène le miroir du monde dans la rétine – si l’époque adore les atermoiements sans doute est-il temps qu’elle demeure l’œil ouvert et sans doute est-ce à quoi nous invite une telle poésie, et cette profusion à débordement de la langue partout tout le temps la langue hante qui ronge le monde happe râpe cogne heurte blesse langue multiple rendue éclatée à la gueule du monde la langue qui dit ne dit pas dit encore langue : « la langue populaire la langue de la peur la langue pute la langue servile la langue dominante la langue dominée la langue massacrée la langue de circonstance la langue du terrain la langue nue la dernière langue la langue tranchée »
qui gangrène
et les bruits
et les silences
Tout ce qui demeure de ces yeux trop longtemps fermés se prélassant de l’être, et voir :
« Sur une pierre creuse
du sang
Ça luit au soleil »
Bien sûr les mots ont un pouvoir limité et Le Querrec ne l’ignore pas puisque de ce miroir promené il faut bien encore « Buter sur l’obstacle de la représentation », mais l’effort même de pensée et de vision qu’ouvre la poésie permet au moins de démasquer le simulacre de logique à l’œuvre dans la rhétorique belliqueuse : « r r r rr r avec m≠o où ax représente la valeur absolue de l’accélération horizontale en fonction du projectile (k=0,001kgs-1). » Rhétorique toute relative qui ne dit pas son vrai nom
« Décomposer la moralité
Décomposer les corps
Compte les jours
C’est la guerre »
Alors là éclate l’authentique pouvoir du poème, ramenant la réalité à son propre signe, s’évitant toute périphrase – sclérose du verbe dans le discours – pour mieux démasquer encore, et porter haut la fermeté de la parole qui ne ploie plus.
Crédit photo : © Tonatiuh, 2017