Tout se passe là, dans un village d’Auvergne où les sourires se croisent entre deux danses, entre deux notes de musique, entre deux cœurs battants au rythme de la vie. A Gennetines, un bal de sept jours réunit chaque année des milliers de personnes venues des quatre coins du monde pour danser, chanter mais surtout partager des instants de chaleur humaine. Cette passion pour le bal, c’est ce que Laetitia Carton a souhaité restituer dans son documentaire Le Grand Bal, film présenté pour la sélection officielle du festival de Cannes 2018.
Petite fille, son amour pour ces fêtes dansantes et conviviales a été amorcé par celui de sa grand-mère qui partageait sa passion avec ardeur. Dès l’ouverture du film, la réalisatrice revient sur l’éclosion de son exaltation pour ces bals où les joies s’entrelacent. Dans le même temps, l’image d’une route s’enfonçant dans une province silencieuse a valeur d’invitation au voyage pour le spectateur encore curieux de découvrir l’univers dans lequel il va être plongé. Nous sommes donc conviés à suivre la voie qui nous mène sur les lieux d’un festival que l’on imagine déjà allègre selon les souvenirs contés par la narratrice. A peine arrivés à Gennetines, le film nous fait chavirer dans une danse dont la musique rompt avec le calme du paysage précédent. D’emblée, le spectateur est exhorté à se laisser envahir par la musique et par l’atmosphère en effervescence du festival. Il y a ici à sentir, et non à comprendre. Un monde originel, où le temps n’existe plus, se dessine et des instants de pleine conscience, de présence à soi-même surgissent alors. Les barrières de la langue se brisent pour laisser place à un langage primitif fédérateur et universel : celui de la sensation. On retrouve, dans ce film plein d’enthousiasme, l’essence de la vie, une énergie commune et profonde restituée à partir de la musique mais aussi du ressenti de la réalisatrice ou celui des festivaliers. L’un d’eux déclare ainsi qu’il y a dans ce grand bal « une connexion qui est liée à l’envie de vivre ».
Le bal, un événement fédérateur
Les danses, inépuisables et de tous horizons, se succèdent les unes après les autres tandis que les corps, en perpétuel mouvement, se croisent, s’enlacent, se découvrent. Les mises au point sont faites sur les mains, les doigts, le cou ou les épaules. Ainsi dévoilés en plans rapprochés, ils témoignent de l’importance de la peau comme zone de transfert des émotions
Les danses, inépuisables et de tous horizons, se succèdent les unes après les autres tandis que les corps, en perpétuel mouvement, se croisent, s’enlacent, se découvrent. Les mises au point sont faites sur les mains, les doigts, le cou ou les épaules. Ainsi dévoilés en plans rapprochés, ils témoignent de l’importance de la peau comme zone de transfert des émotions. La beauté du geste, de la caresse ou du pas de danse est de fait mise en valeur par ces plans travaillés. Les jeux de lumière, dans ce qu’ils ont de chaleureux, servent alors la restitution d’une ambiance heureuse. L’atmosphère populaire du bal devient lieu de grandeur, d’une beauté profonde et noble.
Le bal est une tradition qui perdure par delà les âges, traversant les cultures et les pays. Il pose la question de la place de la communauté dans un monde occidental contemporain axé sur l’individualisme. L’homme se redécouvre ici comme appartenant à un tout. Cela s’exprime dans le film par la danse, mais aussi à travers toute une série de scènes qui présente le déroulement du festival de manière enthousiaste : des douches prises ensemble, des chants autour d’un feu, des repas partagés,… « Nous ne sommes pas isolés les uns des autres, en vérité nous ne sommes qu’un » commente la voix douce et poétique de la réalisatrice. Les cultures se rencontrent à travers la danse : la polka, le paso doble, la tarentelle, la mazurka,… sont toutes autant d’occasions de parcourir le monde ensemble sans quitter le petit village exalté de Gennetines.
Lâcher prise
Lieu d’osmose, le bal permet d’accueillir l’autre, de « franchir le pas » en invitant un inconnu à valser sur un air d’accordéon. Au rythme de la musique et des battements du cœur, les pas des danseurs frappent frénétiquement le sol, communiquant au spectateur l’envie de faire de même. Difficile de ne pas bouger tout du moins le pied sur les airs enjoués qui résonnent dans le cinéma. De l’accordéon au violon en passant par les tam-tam, nous sommes bercés par les différents orchestres et chants qui accompagnent les danses des festivaliers. Par contraste, des silences répétitifs, comme ceux du petit matin où tout le monde dort encore, entrent en confrontation avec ces instants enivrants de musique pour mieux les mettre en valeur. Les pauses sonores permettent au spectateur de s’enraciner dans la vie, de prendre la mesure de ses propres sensations. Elles nous ramènent à la respiration du monde. Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, l’avait déjà perçu : la danse, cette métaphore de la pensée, restitue une légèreté pure et primitive, une simplicité de l’être à l’encontre d’un « esprit de lourdeur » qui pèse sur l’homme. La danse nous transporte, nous transperce et nous transforme. Ainsi, comme l’exprime très justement la réalisatrice, « danser c’est lutter contre tout ce qui retient […], c’est faire tourner le monde autour de soi. »
Devant ce film plein d’énergie, le spectateur est envahi par des vibrations musicales positives qui lui rappellent l’importance de moments de communion. Le partage avec l’autre, cet inconnu que l’on découvre par une danse, devient la clé d’un rapport au monde riche et épanoui. Sur la musique, les corps s’entrecroisent, les rires se mêlent et les cœurs s’envolent.
Le Grand Bal, de Laetitia Carton. Sortie en salle le 31 octobre 2018.
Aurélia Lebas