Un double jeu réussi pour Le Combat du siècle n’a pas eu lieu

Le Combat du Siècle n’a pas eu lieu

Jusqu’au 17 Novembre au Nouveau Théâtre de l’Atalante, se joue une pièce en double jeu, et à l’aise semble-t-il sur tous les terrains. Le Combat du Siècle n’a pas eu lieu, la première mise en scène de Juliette Fribourg, explore avec beaucoup de finesse et d’intelligence une lutte : celle des femmes dans le monde du travail. L’habile métaphore sportive dans laquelle s’inscrit cette pièce résolument contemporaine et engagée offre de fructueuses comparaisons avec le reste de la société et produit chez les spectateur.ice.s un vif inconfort vis-à-vis des injustices que les femmes rencontrent encore aujourd’hui. 

Le spectacle auquel nous assistons est dédoublé : il tresse subtilement les enjeux séculaires de deux combats. D’une part, celui de la finale de Roland Garros en octobre 2020 qui oppose deux figures majeures du tennis : Rafael Nadal et Novak Djokovic. Ce combat-là est attendu et on en connaît déjà l’issue : Djokovic est écrasé par Nadal. Ce combat d’une part n’a pas lieu puisqu’il s’agit plutôt d’une humiliation, mais également parce qu’il est invisible aux yeux des spectateur.ice.s. En revanche il est fantastiquement narré par les deux journalistes, eux bien présents, et c’est là que se joue le réel combat du siècle : celui, si répété, quotidien et presque normalisé d’une femme qui doit se battre pour sa propre place. 

On ne joue pas à domicile 

Le terrain que Juliette Fribourg choisit pour mettre en scène ce texte qu’elle a co-écrit avec Shane Haddad est celui du tennis et en cela il éclaire particulièrement leur propos : le monde du sport n’est pas le lieu privilégié des femmes. Ce spectacle naît d’une interrogation des metteuses en scène : pourquoi y-a-t-il si peu de femmes dans le journalisme sportif ? Or on sait combien au théâtre, le lieu de l’agôn, du « combat » en grec, peut en colorer les accents et en décider les issues. Ici, l’habile scénographie place la pièce sur de la terre battue, les lignes blanches de séparation dessinent au sol plusieurs espaces : celui du bureau des deux collègues journalistes et à l’avant-scène le « vrai » terrain du combat : le direct, le commentaire du match. Le sport se fait alors le lieu exacerbé de la misogynie qui existe dans le travail et dans le quotidien.

Tout de suite, la précision des gestes d’Ellen -la journaliste- lorsqu’elle s’installe traduit la volonté d’imposer sa place, son sérieux, sa légitimité. En contraste, son collègue Nathan paraît très détendu, très sûr de lui, il joue à domicile. Le sport n’est pas un environnement de travail évident pour les femmes. Les autrices du texte racontent comment le documentaire Je ne suis pas une salope, je suis journaliste réalisé par Marie Portolano a éveillé en elles cette question. Mais le monde du sport n’est finalement qu’une métaphore qui malheureusement s’élargit au monde du travail aussi bien qu’à la société en général : la femme doit systématiquement se battre pour assoir sa légitimité. Ce choix de mise en scène et d’écriture sert merveilleusement le texte puisqu’il place ce combat dans une double perspective : celle du travail et celle du sport, comme autant de luttes que les femmes doivent mener. Alors, les mots du théâtre et du sport se confondent pour devenir les instruments de ce duel-duo. 

Ce choix de mise en scène et d’écriture sert merveilleusement le texte puisqu’il place ce combat dans une double perspective : celle du travail et celle du sport, comme autant de luttes que les femmes doivent mener. Alors, les mots du théâtre et du sport se confondent pour devenir les instruments de ce duel-duo. 

Partenaires ou adversaires ? 

Si en public les deux commentateur.ice.s sont des partenaires, qu’en est-il des coulisses ? La longue relation des deux protagonistes se tisse sous nos yeux, plus complexe qu’il n’y paraît : on y entend la sexualisation -toujours violente- d’Ellen, mais aussi des malentendus, des blessures et des ambitions. La force du double discours -sportif et professionnel- attise les tensions entre les deux personnages avec humour et subtilité. Nous nous laissons mener par ce récit qui passe avec aisance de l’affrontement à l’émotion, du drôle au révoltant. Ce spectacle repose sur l’écriture claire et profonde de ces trois rôles portés par deux acteurs et une actrice étonant.e.s de justesse et d’énergie. Trois rôles et demi en fait : il y a celui d’Ellen (interprétée par Mathilde Wind) la journaliste qui revient après un congé maternité, Nathan (interprété par Alexandre Locatelli) le journaliste ancien collègue et camarade d’Ellen qui a repris ses antennes, et puis l’arbitre-patron (interprété par Arthur Chrisp). Ce dernier représente cette position délicate de la neutralité qui parfois se meut en lâcheté à force de ne pas départager le vrai du faux, le point de la faute.  Car il y a aussi la question de la faute qui s’entend ici, celle depuis toujours imputée à la femme. Elle paie sa condition, elle doit s’excuser d’avoir pris ce congé, d’avoir éveillé chez le collègue des sentiments ambigus, d’avoir été plus professionnelle que son partenaire, elle est responsable et donc coupable. 

La pièce élève ainsi cette situation -celle d’une femme constamment ramenée à sa condition de femme- à une véritable joute théâtrale. Elle use de tous les ressorts que cette analogie sportive offre pour à la fois mettre en exergue l’inconfort qu’un monde d’hommes peut représenter, et le courage et l’affirmation qu’il exige des femmes pour s’y faire leur place. Juliette Fribourg et Shane Haddad maîtrisent définitivement le rythme dans cette mise en scène importante et subtile. Le sentiment amer que cette situation nous laisse est le signe qu’une réelle réflexion s’opère en nous, une réflexion nécessaire sur la société patriarcale. La pièce aborde avec ambition les nœuds que ce système impose à toutes et à tous. Pour la découvrir rendez-vous au Nouveau Théâtre de l’Atalante jusqu’au 17 Novembre. 

Le Combat du Siècle n’a pas eu lieu de Juliette Fribourg / Credit : Noé Mercklé

Crédit photo : Le Combat du Siècle n’a pas eu lieu de Juliette Fribourg / Credit : Noé Mercklé


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