Le beau rôle

Le Beau rôle : DERRIÈRE LE RIDEAU

Avec Le beau rôle, Victor Rodenbach signe un premier film inoffensif à tous égards : trop maladroit pour émouvoir, trop tiède pour indigner. Bien que le film tente d’explorer l’autonomie intime d’un couple d’artistes sous le prisme d’une tension entre le théâtre et la réalité, le récit échoue à donner corps à ces ambitions, plombé par des personnages étroits et une intrigue sans relief.

Le beau rôle

Le beau rôle s’ouvre sur une répétition théâtrale où Nora, metteuse en scène, interrompt sans cesse un couple d’acteurs, fustigeant leur manque de conviction et d’intensité. Pour donner l’exemple, elle finit par prendre la place de l’actrice et embrasse l’acteur, Henri, avec une passion désarmante. Ce geste marque une rupture dans la mise en scène, changeant l’axe de la caméra et la basculant de l’autre côté, soulignant ainsi l’irruption d’un nouvel élément sur scène : la réalité, celle qui se cache derrière le rideau.

Le générique initial confirme ce basculement : une série de photographies intimes révèle que la relation professionnelle entre Nora et Henri relève d’un lien amoureux. Cette intrication entre leur vie personnelle et leur travail nourrit le cœur du récit, où une décision d’Henri – accepter un rôle dans un film – devient à la fois une rupture professionnelle et amoureuse. La séparation soulève une question cruciale : un couple peut-il survivre à des aspirations vécues en dehors de la sphère partagée ?

Ce premier long-métrage de Victor Rodenbach, connu jusqu’alors pour son travail de scénariste sur des séries comme Dix pour cent, repose sur la tension entre cinéma et théâtre, entre amour et profession. La photographie de Victor Seguin accentue cette dynamique par ses textures granuleuses aux couleurs éclatantes, qui mettent en relief la frontière poreuse entre la vie et le théâtre. Le dispositif explore intensément cette perméabilité, juxtaposant fréquemment des scènes de la vie quotidienne des protagonistes avec celles où ils interprètent des rôles.

Pourtant, le récit souligne l’urgence de préserver une autonomie dans sa vie. À travers leur langage télépathique, un regard suffisant à révéler leurs pensées, Nora et Henri illustrent l’intimité d’un couple qui, après s’être confondu dans le jeu, doit apprendre à se séparer pour mieux se retrouver.

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Détruire le soleil pour voir clair

La catharsis de Nora s’accomplit lorsqu’elle finit par anéantir le décor de sa pièce – un majestueux coucher de soleil se détachant sur un sol miroitant. Elle doit se glisser derrière le rideau, franchir la frontière de la caméra, quitter le champ diégétique pour dénicher les réponses qu’elle cherche. En détruisant ce crépuscule symbolique, Nora accède à une émancipation créative et embrasse enfin sa maturité artistique.

C’est là qu’émerge une idée fascinante mais insuffisamment exploitée dans le film : en souillant son matériel diégétique, des éclats de vérité peuvent jaillir. On ne peut s’empêcher de penser à L’Amour fou de Rivette, qui poussait la dialectique à l’extrême, allant jusqu’à céder la mise en scène de certaines séquences à son assistant, André S. Labarthe, comme pour souligner l’essentiel : une déconstruction diégétique met en crise l’image elle-même. La pellicule devient une sorte de mur translucide qui peine à contenir l’esprit dépouillé et fracturé de l’actrice Bulle Ogier. À l’inverse, Le beau rôle demeure timide, trop lisse pour briser réellement cette barrière.

Le film souffre d’une circonvention d’intrigue légère et d’enjeux faibles, qui confèrent au récit une artificialité manifeste. Si cette légèreté permet au film de s’envelopper d’une atmosphère détendue et aérienne, le conflit à son cœur demeure plaqué, contraint, tout au long de sa durée. Des tensions inutiles sont arbitrairement introduites dans une mécanique scénaristique convenue, affaiblie par une banalité qui rapproche l’ensemble davantage d’une série télévisée que d’un film abouti.

Wittgenstein meets Marty McFly

Nora, incarnée avec ferveur par Vimala Pons (dont le regard accentué de khôl suggère le caractère implacable de son personnage), monte une adaptation d’Ivanov de Tchékhov. Lectrice de Duchamp et perfectionniste obsessionnelle, Nora dirige ses acteurs avec des consignes parfois énigmatiques, liant, par exemple, la célèbre phrase de Wittgenstein « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde » à Marty McFly dans Retour vers le futur 2, qu’elle perçoit comme un symbole de l’anticipation entre langage et action.

Ces phrases révèlent une quête de saisie du geste artistique, une réflexivité démiurgique que la metteuse en scène cherche à insuffler dans le jeu de ses acteurs, miroir de l’intention consciente qui anime sa propre démarche créative. Cette volonté démiurgique trouve un écho chez Henri, qui, lui aussi, s’efforce de régenter chaque aspect de sa vie par un effort lucide, à l’exception de ce qui lui échappe fondamentalement : ses émotions. Le film suit cette exploration spirituelle jusqu’à une séquence fâcheusement expositive, où un réalisateur conseille à Henri d’embrasser l’incertitude, de laisser l’inconnu guider ses choix. Mais même cette leçon de vie un brin naïve ne trouve pas d’écho dans le film lui-même. Celui-ci, rigide et dépourvu d’énergie, s’enlise dans une structure impersonnelle et un jeu désincarné, où la mollesse du récit se retrouve dans l’interprétation peu habitée de William Lebghil.

À l’image de la phrase de Wittgenstein qu’il convoque, le film échoue à dépasser les limites de sa propre imagination.

À l’image de la phrase de Wittgenstein qu’il convoque, le film échoue à dépasser les limites de sa propre imagination. Coincé entre banalité et prétention, il se perd dans un entre-deux insipide, incapable d’atteindre ni la clarté de l’émotion, ni l’ombre de l’audace, laissant les promesses de son geste scénique aux coulisses.

  • Le Beau rôle, réalisé par Victor Rodenbach, avec Vimala Pons et William Lebghil. En salles le 18 décembre.

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