Laurène Marx

LAURÈNE  MARX : Entre Illusion et Réalité

Laurène Marx est une autrice dont l’œuvre interroge à la fois les questions de genre, tout comme les questions politiques et normatives qui rythment, comme diffractent, notre société. Je vis dans une maison qui n’existe pas est un récit à trous dont les vides reflètent les conséquences du silence et des traumatismes vécus par la protagoniste, Nikky. A travers un récit bouleversant, elle explore ainsi les confins et méandres de son esprit diffracté par une santé mentale infectée par certaines réminiscences. Les frontières entre la vérité et l’illusion, entre passé et présent, se confondent pour ouvrir la voie à une introspection poignante et douloureuse des souffrances qui la tourmentent au point d’aliéner son existence elle-même.

Laurène Marx

« Je m’appelle Nikky et je vis dans une maison qui n’existe pas… parfois je prends trop de médicaments aussi », écrit la protagoniste au début de l’ouvrage. Par cette introduction, elle plante le décor d’une réalité altérée par la prise quotidienne de médicaments. Celle-ci recrée un univers au sein de l’univers, une nouvelle réalité venant se superposer à l’ancienne, de nouveaux murs remplaçant les certitudes effondrées. Comment décrit-elle la vie dans une maison qui n’existe pas ? Comment les fondements de son passé ont-ils donc été brisés ?   

Le principal bourreau de la protagoniste n’est autre que son passé dont les ombres continuent de détendre sur son quotidien : les nuages de son enfance obscurcissent ainsi les lumières de sa vie en construction. Les « nuages » dont le substantif et les ombres se répètent tout au long de l’ouvrage, poursuivent la protagoniste, mettant en lumière ses pensées sombres et troublées. Les nuages dansent donc sur les toits de cette maison qui n’existe pas, lui rappelant les fragments d’une maison autrefois réelle : mais quelle était-elle donc ?  

L’illusion d’un foyer

La maison qui n’existe pas est donc celle de l’esprit de Nikky, brisée par les violences subies dans l’enfance

La maison qui n’existe pas se substitue à celle de l’hôpital psychiatrique où la protagoniste est internée, suite aux symptômes post traumatiques résultant de violences subies : « j’ai jamais gagné la guerre de mon enfance ». Marquée par la souffrance, elle est devenue une étrangère dans sa propre maison, au point de se voir contrainte de créer d’autres murs : « chaque mur je l’ai choisi » dit-elle. Pire encore, elle finit par écrire : « j’en sors pas, je m’en sors pas, je suis enfermée par moi ». Elle reconnaît ainsi être devenue son propre bourreau, recréant son passé pour finalement perdre pied dans le présent, dans une course effrénée de constructions factices ayant pour objectif principal la survie. La maison qui n’existe pas est donc celle de l’esprit de Nikky, brisée par les violences subies dans l’enfance, et qui finit par ériger ses propres murailles protectrices face au monde extérieur.

Mais dans cette survie perpétuelle, dans ces murs érigés contre soi et pour soi, quelle place reste-t-il vraiment pour soi ? Que cherche la protagoniste en laissant son récit ouvert et en creusant les vides présents entre les mots ? 

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Quête de liberté et d’identité

Le récit apparaît comme une quête paradoxale de liberté et du soi perdu dans l’enfermement. Si la quête est paradoxale, elle l’est tout d’abord du fait de l’enfermement de la protagoniste qui, en hôpital psychiatrique, l’enfermement physique comme un enfermement psychique : « Je veux pas qu’on m’enferme », écrit-elle, parallèlement à « moi… je veux pas que ma vie reste la même, je veux que ma vie reste la MIENNE ». Une lutte pour l’individualité se développe donc au cœur de l’ouvrage, opposant à la fois Nikky au monde, mais également à elle-même. Tout comme les souvenirs de la protagoniste se mêlent à la folie collective, la liberté est elle aussi compromise : si « ici on est FOUUUUS », comment être libre dans cette aliénation à la fois commune et troublante ?  

Alors « je dois savoir qui je suis et pourquoi », écrit-elle en s’interrogeant sur les piliers manquants de son identité. Comment se construire à l’intérieur de murs sont véritablement les édifices des blessures du passé ? 

Comme la liberté, l’identité est obscure, cachée par les ombres des secrets du passé car « ça arrange tout le monde que les enfants inventent ça préserve le secret des maisons ». Les non-dits et les secrets familiaux, qui maintiennent les violences sous le couvert des silences imposés, ont des répercussions violentes sur les enfants victimes. Ceux-ci finissent par ériger des murs de protection autour d’eux pour se défendre de l’injustice du monde extérieur : « Et moi j’ai peur d’un monde qui ne veut pas être tenu responsable de la souffrance qu’il impose ».

Entre passé et présent : lutte PERPÉTUELLE 

La répétition du désespoir passé devient donc un écho d’un appel à l’aide lié aux souffrances passées qui, malgré le temps qui défile, ne s’effacent pas. Au contraire, les « petits soldats de l’enfance » « attendent » la protagoniste qui, pourtant, ne peut pas revenir, son bouclier la protégeant des attaques de ces soldats, souvenirs allégoriques. Passé et présent s’affrontent ainsi, les mesures temporelles s’annulant dans cette course contre soi-même. 

Car la mémoire est dominée par la colère : « me souvenir c’est autant me souvenir des histoires… que me souvenir de ma colère ». Intacte et tangible, cette colère est semblable aux violences silencieuses du passé, inscrites non pas sur les murs de sa maison passée, mais dans celle qui existe sans exister, dans l’étendue altérée de son intériorité. Pour cela voudrait-elle bien « gagner l’oubli » afin de cesser de perdre la bataille contre les douleurs passées, contre les soldats de l’enfance dressés devant elle comme une armée déferlante d’amertume et de souffrance. 

Je vis dans une maison qui n’existe pas, récit poétique à trous utilise donc des mots pour combler les vides creusés par le silence. Il constitue un appel à l’aide cathartique d’une narratrice piégée autant en elle-même que dans un monde dévoré par l’indifférence, un monde qui réduit au silence les enfants en souffrance, victimes de violences.

  • Laurène Marx, Je vis dans une maison qui n’existe pas, éditions Blast, 2024.

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