Laure Mi Hyun Croset – Le Beau monde

© Aurélien Bergot
© Aurélien Bergot

Lors d’une soirée, c’est bien connu, c’est celui qui est absent dont tout le monde parle… Et le plus souvent, les conversations vont de l’éloge – parfois paradoxal – à une critique sans ambages, proche d’une condamnation par contumace. C’est de cette manière qu’on pourrait résumer – bien trop rapidement – le premier roman de Laure Mi Hyun Croset, plus connue pour ces recueils de nouvelles comme Les Velléitaires ou encore Polaroids qui a reçu le prix Eve de l’Académie romande en 2012.

© Albin Michel
© Albin Michel

Ce n’est pas les courses à Ascot, mais le milieu que dépeint Laure Mi Hyun Croset s’y rapproche en nous plongeant en plein cœur d’un mariage mondain raté – il faut bien le dire -, car il manque la mariée : Louise qui ne semble pas pressée d’arriver. D’ailleurs, elle ne viendra jamais. Malaise ? Moment de gêne incroyable ? Non, faisons tout de même la fête, il ne faudrait pas que se perde tout ce festin et après tout une fête est une fête, même sans les principaux concernés.

Laure Mi Hyun Croset a le talent des personnes douées de traits d’esprit, c’est-à-dire un esprit un peu cynique qu’il faut prendre au millième degré ! Ce mariage mondain se donne comme une succession de petits tableaux qui donnent à voir tous les clichés – parfois vrais qu’on se le dise – des soirées mondaines. Et l’on remarque alors peut-être la plume de l’écrivain de nouvelles : cette capacité à concentrer les effets pour rendre un effet plus intense. Le roman apparaît alors comme une galerie satirique de cette société qui au fur et à mesure de la soirée de laisse tomber les masques. La règle de bienséance n’est manifestement plus respectée…

 Carnage

Difficile de s’empêcher de penser au film de Polanski Carnage, adaptation incroyable de la pièce de Yasmina Reza Le Dieu du carnage, car si le roman débute sur une note tout à fait polie et respectueuse de son personnage, à l’instar d’un début de soirée où tout le monde joue le timide, boit son verre comme il faut, il termine sur des drames, des cris et un ton relevé comme si l’écriture avait bien profité, elle aussi, de la soirée. Ainsi, il y a une véritable progression, presque théâtrale, dans le roman qui tient le lecteur, désireux d’en savoir plus sur cette mystérieuse Louise dont tout le monde parle mais que personne ne voit.

Un premier roman donc réussi, plein d’humour, de cynisme, de gravité en peignant un monde gangrené par les bruits de couloirs et les rumeurs, et rédigé avec une plume classique qu’il est plaisant de lire !

À ce propos : Louise. Elle est le cœur du roman et le lecteur ne la découvre qu’à travers une multitude de récits racontés par quelques invités qui, la soirée avançant, prennent la parole pour faire leur portrait de Louise. L’héroïne de la soirée nous apparaît alors en mosaïque, comme un patchwork de petites nouvelles toutes aussi savoureuses les unes que les autres. Certaines sont à l’avantage de Louise, d’autres sont des portraits que l’on n’aimerait pas entendre à son propre mariage, même sous la forme d’un diaporama avec d’affreuses photographies. Mais qu’importe ! Louise n’est pas là, Charles-Constant, le malheureux mari, n’a plus rien à perdre et les invités n’ont aucun scrupule car finalement Louise, elle n’était pas si bien que ça. Et pourtant, Louise nous apparaît comme étant la plus sincère, la plus véritable. Sa nature est fondée sur la liberté même. Ainsi, le portrait-chinois de Louise dessine la nature humaine dans toutes ses variations de sens et de sentiments et devient alors plus authentique que toutes les personnes réunies au mariage.

Un premier roman donc réussi, plein d’humour, de cynisme, de gravité en peignant un monde gangrené par les bruits de couloirs et les rumeurs, et rédigé avec une plume classique qu’il est plaisant de lire !


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