Chaque année, les journalistes, les libraires et les éditeurs déplorent le trop grand nombre de romans publiés lors de la rentrée littéraire. Pour les uns, c’est un véritable désastre qui mène à la surconsommation et au pilonnage de titres invendus, pour les autres, c’est une course déloyale où les têtes d’affiche raflent la mise et éclipsent les jeunes auteurs.
Il y a une part de vérité dans tout cela, mais pour nous, c’est avant tout un moment d’exaltation. On a l’impression de suivre une course hippique : chacun suit son favori. Est-ce que Les Derniers jours du parti socialiste d’Aurélien Bellanger va obtenir le Prix Goncourt ? Jacaranda de Gaël Faye va-t-il réussir à se démarquer ? Et que dire de l’outsider, Pour Britney de Louise Chennevière ? En dépit – ou plutôt grâce – à sa portée polémique, La Vie des spectres de Patrice Jean réussira-t-il à se faire une place ?
Mais le vrai bonheur que nous procure cette rentrée, c’est d’assister à l’émergence de nouvelle voix. Rien de plus touchant que la délicatesse d’un premier roman. Ainsi, Iris et Octave d’Alice Hendschel présente avec tendresse et mélancolie une relation amoureuse qui s’étiole. Entre ode à la nature et réflexion sur la difficulté à s’établir, ce très beau roman nous permet surtout de découvrir une voix singulière. Dans un registre radicalement différent, L’Œuvre du serpent de Norman Jangot nous fait basculer dans un Paris post-apocalyptique saisissant. Ce roman qui se situe dans la filiation des textes de Phillip K. Dick sort des sentiers battus et se distingue par une narration virtuose. Le premier roman de Youness Bousenna, Les Présences imparfaites, est quant à lui impressionnant de maîtrise. Un journaliste désabusé fait le bilan de notre époque. Au-delà des analyses brillantes sur le printemps arabe, ce roman possède un soubassement métaphysique qui pointe avec habilité la difficulté de trouver du sens et des repères dans notre monde interconnecté.
Un dernier roman, enfin, a particulièrement retenu notre attention : Nous sommes immortelles de Pierre Darkanian. C’est une époustouflante épopée, étrange et protéiforme, qui nous fait voyager du Quartier de la Goutte-d’Or au Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, et des Women’s Lands, cette communauté utopique féministe constituée dans les années 70 en Oregon, à la Commune de Paris. ÀA travers un récit onirique et bizarre, à mi-chemin entre réalisme et fantastique, récit historique et anticipation, l’auteur interroge à nouveau frais le mythe de la sorcière, mais aussi les notions de secte et de barbarie, sans jamais forcer le point de vue du lecteur, et toujours avec une grande tendresse pour ses personnages. Roman-monde, portrait fascinant du XVIIIè arrondissement, enquête sur les séquelles laissées par la guerre d’Algérie et sur l’épopée du féminisme, Nous sommes immortelles est un roman ahurissant, et certainement l’un des textes les plus importants de cette rentrée de septembre.
Alice Hendschel, Norman Jangot, Youness Bousenna, Pierre Darkanian : ces quatre auteurs, à travers des formes romanesques singulières, dessinent l’espace politique, social et existentiel de notre époque : entre interconnexion et quête existentielle, nouvelles manière de s’aimer et renouvellement des luttes politiques.
La littérature que nous défendons restitue précisément cette expérience contemporaine. Elle est une formidable fenêtre ouverte sur l’univers mental de notre société.
Pierre Poligone et Sébastien Reynaud
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