La passion amoureuse chez François Truffaut

François Truffaut

Si François Truffaut est aujourd’hui sur toutes les lèvres, et cité en référence indépassable d’un certain cinéma français, c’est que cet “homme qui aimait les femmes” avait une manière unique d’interroger la passion amoureuse. Zone Critique a ainsi décidé de se pencher sur l’œuvre du réalisateur, en deux temps. Ce premier article reprend donc sa filmographie depuis Jules et Jim jusqu’à Fahreneit 451 .

Il vaut mieux juger un artiste sur son œuvre que sur les commentaires qu’il fait de son œuvre. Cela est d’autant plus vrai pour François Truffaut qui, maître des mots d’esprit durant ses entretiens, ne nous invitait pas à juger ses films à l’aune de ce qu’il disait, mais seulement dans la contemplation de ses films eux-mêmes. Dépassons donc ce fatiguant lieu commun selon lequel le cinéma était l’art, pour Truffaut, « de faire de jolies choses à de jolies femmes. » Cela ne nous indique en rien l’intelligence de son œuvre, cela ne nous aide en rien à comprendre son génie.

Jugeons plutôt de ce qu’est la passion amoureuse dans les films de François Truffaut, ses choix de mise en scène, et restons en là. Ne perdons pas de temps parmi les inutiles symbolisations de ses formules. Si nous désirons nous référer à ses plus profondes réflexions, tenons en nous à cette phrase de son article-manifeste, socle de ses revendications de réalisateur en devenir, « Une certaine tendance du cinéma français », qui nous montre la voie de la juste création cinématographique, contre le pseudo-réalisme :

« Cette école qui vise au réalisme le détruit toujours au moment même de le capter enfin, plus soucieuse qu’elle est d’enfermer les êtres dans un monde clos, barricadé par les formules, les jeux de mots, les maximes, que de les laisser se montrer tels qu’ils sont, sous nos yeux. »

Voilà la tâche que s’était donné François Truffaut au sujet de la passion amoureuse plus spécifiquement : la montrer telle qu’elle est, sous nos yeux. Sa manifestation en est impressionnante.

Le point de départ significatif semble être Jules et Jim (1961) : l’histoire de cette amitié à Paris, entre respectivement un jeune Français et un jeune Autrichien, séparés par la Première Guerre Mondiale et qui à son terme, renouent leur amitié, tandis que Jim est marié avec Catherine (interprétée par Jeanne Moreau).

Jules et Jim, François Truffaut, 1961

Tous les trois se rencontrèrent avant la guerre. Catherine leur plût d’abord pour son sourire de statue d’île Adriatique. Elle se maria avec Jim, car c’était plus facile pour elle. Mais, silencieusement, elle aimait Jules.

Truffaut marque ici, pour la première fois, la modalité profonde de la passion amoureuse dans son œuvre : le silence. Cela demeura jusqu’à la fin de son œuvre.

Après Les Quatre Cent Coups, le deuxième volet du cycle AntoineDoinel, est ce moyen-métrage de commande qui s’inscrit dans le thème L’Amour à Vingt Ans, Antoine et Colette : adolescent, Antoine Doinel (légendairement incarné par Jean-Pierre Léaud) rencontre Colette, jeune lycéenne du Quartier Latin, qui sort beaucoup, fréquente pas mal de garçons sans jamais s’établir avec aucun d’entre eux. – Lorsque Antoine l’appelle pour un premier rendez-vous, c’est un échec ; lorsqu’il vient frapper à sa porte pour l’inviter à un concert, l’échec est plus rude ; lorsqu’il se justifie de l’avoir embrassé au cinéma, elle le trompe avec un autre garçon. Pourtant, les seuls moments où il est parvenu à être en couple avec elle, c’était lorsqu’il la contemplait aux concerts des Jeunesses-Musicales, lorsqu’il se promenait avec elle dans Paris, lorsqu’il emménagea en face de chez elle. – Seul le silence lie les êtres aimés dans les films de Truffaut et accentue leur unification.

Antoine et Colette, François Truffaut, 1962

Avec La peau douce (1964), Truffaut impose le silence entre Pierre Lachenay (conférencier, spécialiste de Balzac) et Nicole Chomette (hôtesse de l’air), devant un kiosque à journaux à Lisbonne, dans l’ascenseur d’un hôtel, lorsque Lachenay attend Nicole à l’aéroport ou encore lorsqu’il la raccompagne devant chez elle ; Truffaut sépare les aimés lorsque Lachenay invite Nicole à prendre un verre tard le soir, lorsqu’il l’invite à Reims, lorsqu’il propose à Nicole d’emménager avec lui : jamais, autant que dans La Peau Douce, la passion muette sous la chair vient unir les êtres, les expose aux plus grands risques et les pousse jusqu’à leur ultime conséquence, – la vengeance de la femme de Lachenay.

Faisant un pas vers la science-fiction, Truffaut crée une liaison amoureuse, entre l’agent d’un gouvernement totalitaire et une institutrice précaire, dans Fahreneit 451 (1966) : Truffaut les fait rencontrer dans la rame d’un métro aérien, lorsque Lydia suit Guy Montag dans la rue, lorsque Montag commence à lire des livres (interdit par le pouvoir politique) et choisit de cacher Lydia à la police, hors-la-loi et vivant dans la clandestinité : chose étrange dans Fahrenheit 451, rien ne devait faire rencontrer Montag et Lydia ni même les liait ensemble, et pourtant Montag risque sa vie pour elle. Pour celle, avec qui il a à peine parlé.

La peau douce, François Truffaut, 1964

Tarik Otmani.


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