L'échappée belle

L’Échappée belle : bref été de rêverie

C’est un doux manifeste que le titre du deuxième film de Pamela Varela : L’Échappée belle fuit la pesanteur du monde et retrouve l’allégresse du temps qui passe. Une torpeur propice au métissage des langues, des corps et des idées. 

Il est un lieu, assez caractéristique au cinéma français, qui symbolise à lui seul le pas de côté à la marche du monde : la maison de campagne. À l’écart du tumulte de la ville, la maison de province offre un refuge paisible pour la flânerie, la lecture, les jeux de l’amour ou la création artistique. La temporalité s’accorde souvent aux longues vacances d’été, celles de l’enfance qui semblaient durer une vie et qui favorisent l’indolence la plus complète. Un environnement langoureux dans lequel les aiguilles des horloges semblent tourner plus lentement, voire se figent : le temps n’a plus cours dans ce monde hors du monde.

Jacques Rivette, notamment, a plusieurs fois privilégié cette disposition formelle : la maison du 7bis de la rue du Nadir-aux-Pommes est ainsi le terrain de jeu pour l’imagination fertile de Céline et Julie (Céline et Julie vont en bateau, 1974) ; les étudiantes d’art dramatique vivent en vase clos au sein d’un pavillon de banlieue parisienne dans La bande des quatre (1988) ; et c’est dans une grande bâtisse provençale que le célèbre Frenhofer s’échine à peindre La belle noiseuse (1991). Ces espaces repliés sur eux-mêmes offrent un écrin idéal à la créativité théâtrale, à la fois décor naturel, architecture ludique et asile de l’esprit. Un cadre que transpose à sa manière L’Échappée belle

L’ennui et l’amour

Le film de Pamela Varela s’inscrit dans cette filiation romanesque en contraignant une jeune troupe de comédiens à demeurer, suite à la panne de leur van, dans une maison perdue au fin fond de la Bourgogne. D’abord désagréable, la petite communauté composée de Lara, Luz, Auguste, Octavio et Irina va rapidement tirer profit de cette avarie pour répéter Trois sœurs d’Anton Tchekhov. Heureuse coïncidence puisque la plupart de ses œuvres se déroulent dans des datchas de petites villes de province du Sud de la Russie.

Ces espaces repliés sur eux-mêmes offrent un écrin idéal à la créativité théâtrale, à la fois décor naturel, architecture ludique et asile de l’esprit.

Tout à sa volonté de faire concorder l’univers du dramaturge du XIXe siècle et les questionnements existentiels contemporains, le film use d’un procédé déjà vu dans Vanya, 42e rue de Louis Malle (1994) mettant en scène la répétition d’Oncle Vanya dans un théâtre new-yorkais : la disparition de la frontière entre les dialogues des comédiens et la récitation de la pièce en préparation. Ainsi, les tourments sentimentaux de Lara envers Octavio trouvent une résonance particulière avec ceux que son personnage avoue à ses deux sœurs dans la pièce de Tchekhov, entre désespoir amoureux et mélancolie du temps qui passe. Le dispositif peine pourtant à convaincre tant les mots du poète russe semblent glisser sur leurs interprètes, finalement peu enclins à faire corps avec les afflictions de leur époque.

Le buen vivir plutôt que le mal de vivre

La mise en scène épouse cette atmosphère nonchalante en privilégiant les plans fixes, dans un enchaînement de saynètes quelques peu décousues venant illustrer la quotidienneté sans conséquence de la troupe : une promenade le long de la rivière, une partie de tennis en plein soleil, un repas d’anniversaire à l’ombre du jardin, un concert arrosé sur la place du village ou encore une chanson à plusieurs voix parfaitement improvisée, faisant fi de tout réalisme.

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Si le film ne creuse jamais les personnalités de chacun des comédiens, il offre néanmoins une charmante galerie de personnages secondaires, tel ce pêcheur poète qui monologue le plus sérieusement du monde sur ses techniques pour dissiper le trouble amoureux qu’il éprouve aux côtés de Luz, ou bien ce fringuant voisin roulant en décapotable et son jardinier taciturne adepte de la contrebasse. 

En convoquant enfin à deux reprises le philosophe Raoul Vaneigem (auteur du Traité de savoir-vivre à l’égard des jeunes générations, 1967) cette communauté bucolique semble faire sien le célèbre slogan situationniste : « Vivre sans temps mort, jouir sans entraves ». À défaut d’une réflexion politique originale sur l’émancipation des individus, le film de Pamela Varela constitue une petite trouée d’air sans prétention mais bienvenue dans un monde de plus en plus puant. 

  • L’Échappée belle, un film de Pamela Varela, avec Astrid Adverbe, Miguel Escudero Dieguez, Mariana Giani. En salles le 19 mars 2025.


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