Justin Morin

Justin Morin, la tentation de la fiction

Pour son premier roman, Justin Morin, ancien chroniqueur judiciaire, choisit la forme hybride pour raconter un fait divers : la mort d’une jeune fille de treize ans, percutée par un chauffard. Mélange entre le récit et la fiction, ce livre se distingue par sa sobriété et sa finesse avant de s’égarer dans une réalité alternative.    

Justin Morin, On n'est plus des gens normaux

Le 14 août 2007, dans la commune de Sept-Sorts, en Seine-et-Marne, un individu au volant d’une BMW fonce sur la terrasse d’un restaurant. Angela, 13 ans, meurt sur le coup et des dizaines de personnes sont blessées, dont les membres de sa famille. Chargé par sa rédaction de couvrir le procès de l’assassin, P., Justin Morin a décidé d’en tirer un livre bouleversant. 

Dans les premières pages, consacrées à cette attaque, il n’y a pas de ton larmoyant. Il y a la réalité brute des faits. Elle contient tout le drame de cette soirée où des décisions insignifiantes ont des conséquences insupportables. Justin Morin est précis et sobre. Il ne cherche pas à nous faire pleurer. Il nous fait pleurer. 

« Entre la BMW et la table 7 à peine quelques mètres qui relient encore Angela à la vie, ses parents et ses deux frères à une existence normale. L’espace-temps avant le choc est infime et infini à la fois. Toutes les souffrances, toutes les peines, toute l’incompréhension, toute l’injustice, toute la colère, toute la culpabilité – tout ce qui va suivre existe déjà, tout est là, comprimé dans cet espace-là, dans ce vide qui sous la pression finit par exploser. »

Dans les premières pages, consacrées à cette attaque, il n’y a pas de ton larmoyant. Il y a la réalité brute des faits.

Apprendre à devenir des victimes

Ce livre heurte la sensibilité du lecteur, lui brise le cœur, le fait enrager. Passé le choc de l’accident, la reconstruction est une épreuve de plus à affronter, là encore retranscrite avec la réserve nécessaire à cet exercice. Sacha et Betty, les parents, et Nikola et Dimitri, les frères, deviennent des victimes sans savoir que faire de ce statut. Désormais, ils ne sont plus des gens normaux, il va falloir vivre avec, de la même manière qu’ils doivent supporter les convalescences et les thérapies. 

Au milieu des tourments, il finit par y avoir des sourires et des moments où la famille touche du doigt un semblant de bonheur retrouvé. Ces passages contiennent une beauté pure, celle de la possible reconstruction. Justin Morin est fin et effacé. Il montre sans être voyeur, il raconte sans en rajouter : 

« Ce soir-là, Sacha et Betty mélangent les vins et la Pietra, l’alcool n’est pas triste. À la moindre rugosité, il suffit de tourner la tête vers le ciel, le regard s’élance jusqu’en haut de la Punta, s’enroule comme un courant d’air autour de la croix de bois, puis redescend jusqu’au vin rouge, juste en dessous du nez, prêt à être ingurgité ».

Le procès comme point de départ de ce projet

L’auteur n’apparaît qu’à partir du procès, dans la deuxième partie du livre. Au fur et à mesure des pages, il prend plus de place pour raconter, à la manière d’un journaliste, la façon dont il a connu la famille et la genèse de ce livre. Au procès, il est partie prenante : « Je ressens la soif de vengeance, sa potentielle violence, la force qu’il faut pour la réprimer, tout cela se mélange et ce n’est pas moi, mais en moi ». Il y a toute l’humanité de l’homme (par ailleurs père de famille) confronté à son rôle de journaliste. C’est d’ailleurs à ce moment que la réserve du professionnel disparaît et que le projet littéraire semble trouver son origine. 

Un autre tournant se produit lors du procès. Il s’agit de l’apparition de la sœur de l’accusé. Ce personnage, qui passe son temps à prendre des notes dans un carnet, détient peut-être des réponses et surtout elle affirme devant la cour, malgré les preuves accablantes, que le meurtre d’Angela n’est qu’un accident. En journaliste consciencieux, Justin Morin a voulu discuter avec elle, comprendre les raisons de cet acte de loyauté qui « laisse entrevoir la matérialité du lien familial, son indéfectibilité face au pire ». Mais elle a refusé et ce qui était alors un récit va devenir un roman. 

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Le récit devient roman, l’auteur s’égare

« Il faudra oublier son témoignage. Écrire non pas avec, mais contre les faits, accepter de contourner le réel pour raconter une autre histoire de famille, une histoire parallèle, différente de celle vécue par la sœur de P. M’écarter de sa vie pour en imaginer une autre. »

Dans la troisième partie, Justin Morin cherche à imaginer la vie de cette sœur, le contexte familial, son rapport à ses parents et à son frère. Il veut comprendre ce refus de l’évidence à travers un faisceau d’événements que l’écrivain invente. Le parti pris est fort, audacieux également, mais la cohérence du projet en pâtit. L’auteur perd la simplicité de son écriture et s’égare dans un exercice périlleux. Ce volet sort le lecteur de l’ouvrage et le plonge dans une histoire parallèle, assez banale, d’une vie de famille chaotique dont il faut s’extraire pour trouver sa voie. 

Le roman devient social, sociologique presque, sans qu’on ne parvienne à s’attacher à ces personnages, ni à s’intéresser à leur vie. Et comment être concerné après avoir lu les pages déchirantes concernant la famille d’Angel ? Une cassure s’opère et le livre perd en authenticité et en sincérité. Malgré ce passage décevant, le premier roman de Justin Morin se distingue par son empathie et sa capacité à retranscrire l’horreur sans insister sur l’horreur. 

  • Justin Morin, On n’est plus des gens normaux, La manufacture de livres, 2024.
  • Crédit photo : © DR

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