Journal de Cannes #6

Alors que le Festival de Cannes vient de sacrer une réalisatrice en donnant la Palme d’Or au Titane de Julia Ducournau, la dernière itération de notre journal s’intéresse à trois films de la sélection Un certain regard dépeignant la condition féminine en Haïti, en Bulgarie et au Mexique.

  • Freda de Gessica Généus

La projection de Freda s’avère particulièrement émouvante avant même que la séance n’ait commencé. La réalisatrice, Gessica Généus, se dit émue de représenter son pays dans un festival aussi prestigieux que le festival de Cannes. Elle tient à souligner à demi-mot le contexte difficile que traverse Haïti avec l’assassinat récent de son président. Ce premier long-métrage s’ouvre avec une scène de viol brillamment filmée et très originale. La réalisatrice suggère plus qu’elle ne filme et cette première séquence aux allures de flashback est d’une intensité inouïe. La dimension artistique est par la suite délaissée au profit d’un format plus documentaire. Haïti nous est dépeinte comme un pays à la culture plurielle, tiraillée entre la religion chrétienne et la spiritualité vaudou tendant à s’effacer voire à être diabolisée. Freda est un témoignage politiquement engagé et regorgeant de pistes de réflexion sur le néo-colonialisme. La réalisatrice dénonce avec véhémence la corruption gangrénant le pays ainsi que le tourisme sexuel déguisé de certains prêtres libidineux, en passant par le colonialisme perpétué par le biais de crèmes blanchissantes et de l’effacement des spécificités culturelles haïtiennes, à savoir la langue créole et la religion vaudou. Haïti constitue donc un personnage à part entière du film, avec l’héroïne Freda et sa famille. Deux sœurs. Deux trajectoires radicalement opposées. L’une utilise des produits blanchissants et se voit entraînée par sa mère à séduire un homme riche ; l’autre, Freda, est également charmante mais tient à se concentrer sur ses études d’anthropologie. L’équipe du film a fondu en larmes à la fin de la représentation. Le public a salué le film pendant plus d’une dizaine de minutes, montre en main.

  • Women do cry de Vesela Kazakova et Mina Mileva

De même, Women do cry est un long-métrage s’apparentant plus à un documentaire autobiographique qu’à une œuvre de fiction. Par le biais de leur film, les réalisatrices nous font part de leur quotidien de femmes bulgares évoluant dans une société patriarcale et violente. Plusieurs sujets sensibles sont abordés : la stigmatisation liée au sida, les violences faites aux femmes, les traditions patriarcales, le rejet de l’homosexualité… Dommage que Vesela Kazakova et Mina Mileva ne se soient pas suffisamment souciées de la dimension artistique et scénaristique de leur premier long-métrage. Il ne suffit pas d’être féministe pour réaliser un bon film, et il ne va pas sans dire que les honorables convictions féministes des réalisatrices m’ont laissée sur ma faim. Les actrices ont tendance à surjouer leur rôle à l’image de Maria Bakalova dans son rôle de sidaïque frôlant la possession démoniaque. Les questions soulevées ne sont qu’effleurées. L’image est terne, pour ne pas dire insipide. Les spectateurs ne se sont pas bousculés pour faire usage des paquets de mouchoirs lancés dans la salle par l’équipe du film au début de la projection.

  • Noche de fuego de Tatiana Huezo

J’achève ma journée consacrée aux réalisatrices de la sélection Un certain regard avec le premier long-métrage de la réalisatrice mexicaine Tatiana Huezo. Noche de fuego met en lumière les femmes d’un petit village du Mexique en proie aux cartels et à la corruption. Comme Simon Mesa Soto dans le film colombien Amparo, la réalisatrice fait le pari de la simplicité. Seuls l’amour et la transmission des connaissances semblent pouvoir sortir les protagonistes des abysses de la violence. Tatiana Huezo tient à mettre en lumière le quotidien de trois jeunes filles au-delà de la violence des rapts et des coups de feux, ce qu’elle fait avec beaucoup de délicatesse. Les rouges à lèvres des mères effleurant les lèvres de leurs filles, le tâtonnement des premiers amours, le désarroi face à l’absence des pères… La puissance du film réside dans sa chute déchirante ainsi que dans la douceur de ses personnages féminins. A la manière de Freda, Noche de Fuego est un long-métrage aussi saisissant qu’émouvant.

 


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