Nouvelle carte blanche du romancier Clément Bénech pour Zone Critique. Retour aujourd’hui sur le dernier livre de Jean-Philippe Toussaint, Nue.
Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire.
La phrase de Walt Disney s’applique volontiers à l’écriture de Jean-Philippe Toussaint : depuis son premier livre, La Salle de bain, jusqu’au dernier sorti il y a quelques jours, Nue, on sent l’expression d’une volonté qui ne se laisse pas dévoyer.
La volonté de faire advenir les événements les plus improbables, de grandes oxymores visuelles, et ce dans le cadre le plus réaliste — dans les règles de l’art. Que conclut Marie, l’amante du narrateur, après le défilé où elle a présenté aux yeux du monde la première robe en miel ?
Dans cette dualité inhérente à la création — ce qu’on contrôle, ce qui échappe —, il est également possible d’agir sur ce qui échappe, et il y a place, dans la création artistique, pour accueillir le hasard, l’involontaire, l’inconscient, le fatal et le fortuit.
Dans cette théorie de Marie s’esquisse en creux une poétique de Toussaint : celle de façonner des ailes à son roman pour le laisser s’envoler. C’est après tout par hasard que sont nées la tarte Tatin et la Caesar Salad.
Et Marie reprend en partie le vocabulaire du surréalisme. L’inconscient se montre d’ailleurs au moins deux fois dans le roman. La première, quand le narrateur fait un lapsus visuel : il lit SORRY au lieu de SONY sur un néon. Une scène qui rappelle Nadja de Breton, dans lequel Breton lit POLICE au lieu de MAISON ROUGE sur un semblable néon. La seconde, quand Marie et lui ne retrouvent pas une tombe dans un cimetière, une difficulté signifiante.
Et Marie reprend en partie le vocabulaire du surréalisme. L’inconscient se montre d’ailleurs au moins deux fois dans le roman
Cet été, j’ai lu un livre sur André Breton, nommé, tenez-vous bien, André Breton. Claude Mauriac en était l’auteur. Voici ce qu’il dit du pape du surréalisme au chapitre de l’amour : Breton semble croire qu’il est un des premiers hommes à qui soit donnée cette chance vertigineuse d’aimer et d’être aimé. En écho, l’épigraphe du roman de Toussaint, que l’on doit à Dante : Dire d’elle ce qui jamais ne fut dit d’aucune.
Ce qui suscite l’ironie attendrie de Claude Mauriac — une légère naïveté de Breton — me semble, au contraire, l’acte fondateur d’une vie d’écriture. Car qui reproduirait encore l’acte de tremper sa plume dans l’encrier s’il n’avait la conviction d’être le premier à voir ? Le premier à voir le feu, l’eau, l’amour ?
C’est à cette condition, celle du premier homme, que le futur nous réservera peut-être encore des romans si beaux que Nue.
- Nue, Jean-Philippe Toussaint, Minuit, 2013, 170 p.