Il était une fois l'Amérique roman graphique

Il était une fois l’Amérique : l’invention d’un nouveau monde

Le projet de ce roman graphique, publié par Les Arènes, est ambitieux. Il s’agit de raconter toute l’histoire de la littérature américaine à travers un scénario signé Catherine Mory et des dessins de Jean-Baptiste Hostache, dans deux volumes, l’un publié en janvier, l’autre à paraître en septembre. Dans ce premier tome, l’action se concentre en Nouvelle-Angleterre, sur la côte est, là où les premiers pèlerins sont arrivés en 1620 à bord du Mayflower. 

Raconter toute une littérature ressemble à une idée aussi folle que la traversée de l’Atlantique dans un galion, au XVIIe siècle, en quête de la terre promise. Pourtant, à l’image des pères fondateurs, Catherine Mory et Jean-Baptiste Hostache ont décidé de nous embarquer avec eux, pour un voyage graphique, littéraire et historique extraordinaire. D’ailleurs, si la préface insiste sur ce mot « TOUTE » la littérature, l’autrice et le dessinateur ne manque pas d’ironie. En témoigne l’exergue : « On ne peut dire le tout de rien » (Henry James). 

La force majeure de cet ouvrage réside dans cette entrée en matière. Il est possible de parler de littérature et d’histoire sans emphase. Le savoir, loin d’être ennuyeux, peut être transmis avec de l’humour et beaucoup de talent. Imaginez, par exemple, découvrir l’univers d’Henry David Thoreau, auteur de Walden et considéré comme un précurseur dans le nature writing, et soudain un personnage s’exclamer : « J’men balek ». Bien sûr, il y a un contexte autour – à découvrir dans le livre –, toujours est-il que c’est inattendu. Pour autant, il ne faut pas réduire la bande dessinée à cette réplique, mais elle montre que la liberté de ton est le moteur de ce projet. 

La naissance d’une société commentée par ses écrivains

Heureusement, car quoi de plus barbant qu’un puritain débarqué en Amérique, en 1620, dans une ville aujourd’hui nommée Plymouth, dans le Massachusetts. « À l’image des premières églises chrétiennes, nous fonderons une communauté innocente sur le sol vierge de cet éden », déclarent les passagers du Mayflower lorsqu’ils touchent terre. L’histoire des États-Unis (et non pas de l’Amérique, précision importante), a donc débuté ici, à environ cinquante kilomètres au sud de Boston, chronologie conservée par la scénariste du livre. 

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Se succèdent ensuite neuf portraits d’auteurs (James Fenimore Cooper, Nathaniel Hawthorne, Edgar Allan Poe, Henry David Thoreau, Walt Whitman, Herman Melville, Mark Twain, Henry James et Jack London) et un portrait d’autrice (Emily Dickinson) de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. La présence d’une seule femme s’explique aisément par le puritanisme cité plus haut, ne leur ayant laissé que peu de place, si ce n’est celle de mère ou de sorcière. Ces portraits, d’une vingtaine de pages, mêlent vie de l’artiste et développements historiques majeurs dans un pays en pleine mutation, entre la conquête de l’Ouest, les génocides, l’esclavage, la terrible guerre civile, la révolution industrielle et cette nécessité d’unir un pays au territoire si vaste. 

La création de mythes littéraires

À travers ce livre, on découvre la création de personnages littéraires devenus mythiques et restés dans l’inconscient collectif.

Chaque portrait est une courte biographie, détaillant le parcours et les idées de l’auteur ou l’autrice, ainsi que ses inspirations et son positionnement par rapport aux transformations politiques en cours. Le racisme est au cœur du livre comme il fut au cœur de la société américaine, utilisé, d’un côté comme de l’autre, pour servir des plans politiques et économiques. Aucun jugement n’est porté sur les propos des artistes. Le lecteur constate simplement à quel point ce sujet a façonné un pays. Difficile d’être manichéen dans son analyse aujourd’hui tant les opposants d’hier seraient considérés autrement selon nos standards contemporains. 

À travers ce livre, on découvre aussi la création de personnages littéraires devenus mythiques et restés dans l’inconscient collectif. Chez James Fenimore Cooper, on retrouve ainsi la figure de l’ennemi anglais, de l’allié français, du bon indien (qui a accepté les coutumes occidentales) et du méchant indien (qui ne veut pas se soumettre). On y trouve aussi des femmes pures et sans défense, du moins pour l’instant. Quelques années plus tard, chez Nathaniel Hawthorne, elles changeront de visage pour devenir des menteuses, des pécheresses, et finalement les sorcières de Salem. Au-delà de découvrir ou redécouvrir des œuvres littéraires, on comprend comment une société s’est construite et quelles ont été ses valeurs fondatrices. Un séjour en Nouvelle-Angleterre aujourd’hui servira de complément pour savoir ce qu’il en reste aujourd’hui. 

Une atmosphère graphique réussie

Le lecteur, qu’il connaisse ou non les paysages dont il est question, observe la société évoluer à travers cet univers graphique qui semble familier. 

Incarné par Mark Twain, Herman Melville, ou Jack London, le lecteur voit également naître la littérature des grands espaces et cet autre fondement de l’existence aux États-Unis : la liberté. Que ce soit une liberté de s’exprimer, de rêver, de se déplacer ou de détruire. Une autre force du livre est d’ajouter l’intervention de spécialistes de la littérature. Sur Moby Dick, roman sujet à de nombreuses interprétations, plusieurs théories sont proposées aux lecteurs : « quête métaphysique », « allégorie politique », « grand roman prolétarien ». « Il était une fois l’Amérique » est didactique et invite à la réflexion et à l’analyse d’une société et de ses livres.  

Notons enfin une idée brillante concluant chaque chapitre : l’image d’un arbre à la base duquel se trouve l’auteur ou autrice dont il a été question et, dans les branchages, celles et ceux qui s’en sont inspirés. De quoi allonger sa liste de livres à lire, comme si elle n’était pas déjà assez fournie. L’univers graphique du roman est un élément majeur dans la réussite de ce projet. Au-delà d’habiller les propos, il offre une dimension supplémentaire, grâce à ces arbres, mais aussi une capacité à retranscrire une époque et une atmosphère en dessins. Le lecteur, qu’il connaisse ou non les paysages dont il est question, observe la société évoluer à travers cet univers graphique qui semble familier. Jean-Baptiste Hostache a su capter la représentation mentale que nous nous faisons de cette époque. 

Le second tome, dont la publication est prévue en septembre, sera centré sur le XXe siècle. 

  • Catherine Mory, Jean-Baptise Hostache, Il était une fois l’Amérique – Une histoire de la littérature américaine, Les Arènes, 2024.

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