Guesde : Punk is not dead ?

Catherine Guesde est docteur en philosophie, musicienne et critique musicale. Experte dans le domaine des musiques alternatives, l’essayiste a publié dernièrement Penser avec le punk aux Presses Universitaires de France. Dans cet ouvrage, cette spécialiste de l’esthétique rassemble plusieurs textes sur le lien entre réflexion philosophique et punk, dont l’éthique reste très proche de plusieurs thématiques très en vogue à savoir l’écologie, la défense des animaux ou encore le féminisme.

Dès le début de son ouvrage, Catherine Guesde réaffirme la dimension éthique et pratique du punk : organisé autour du courant DIY (Do It Yourself), ce mouvement musical reste connu pour son attachement à l’autonomie mais également à l’anarchisme libertaire. A ce sujet, le groupe Crass déclare « le punk consiste à faire par ses propres moyens. A être créatif et non pas destructif ». Ainsi, il s’agit pour ce composé esthético-éthique de questionner la norme sociale, sa manière d’être au monde, que ce soit par rapport à l’environnement, aux autres, ou encore plus généralement au vivant. Bercés par l’existentialisme ou encore par le transcendantalisme, les adeptes de ce mouvement ont toujours été marqués par la réflexion philosophique malgré l’image caricaturale que peut renvoyer certains médias mainstream de ces derniers.

Tout d’abord, le livre s’intéresse à un sujet très présent au sein des représentations et de la mentalité punk, c’est-à-dire la saleté. Si de nombreux groupes font explicitement référence au pourri, au détritus, au cassé mais aussi à ce qui est morbide (Rancid, Dirty Fonzy..), cela n’est pas fait dans un but simplement provocateur. En effet, il s’agit plutôt de proclamer son appartenance à la marginalité, à ce qui reste exclu par les codes de la décence commune. Ainsi, si la saleté demeure un élément répulsif de l’hygiénisme bourgeois, elle est également ce qui est mis à l’écart d’un ordre social afin de le maintenir en état.

Jeanne Guien, auteure de l’article sur la crasse, engage une réflexion sur cette dernière : rappelons que l’immondice évoque ce qui n’a pas de monde, qui étymologiquement renvoie au sillon (mundus). Le geste délibérément insolent des punks de ramener la saleté au devant de la scène permet de questionner la dichotomie du citoyen « bien propre sur lui » et du marginal, relégué en dehors des conventions établies : en effet, il s’agit de réfuter ces divisions créées par l’ordre social dominant pour qui cracher par terre ou se moucher dans ses doigts constituent un refus de subordination à leurs diktats. Par ailleurs, Guien s’attarde sur la sémantique de ces milieux. Il est courant d’entendre White Trash, pour parler des voyous issus de milieux blancs et pauvres ; ou encore Trailer Trash, pour désigner les vagabonds vivant dans des parkings pour caravanes, notamment le chanteur Iggy Pop. Il n’est pas étonnant que le terme de « punk » soit lui-même une insulte, comme « Queer » et comme « Jazz ». Ainsi, la volonté de ces groupes d’opprimés est de s’approprier positivement les termes péjoratifs employés par les catégories sociales qui les discriminent.

De plus, le punk se trouve lié à la saleté par son rapport au gaspillage alimentaire : au moment où la faim touche des millions d’individus, les membres de ce mouvement musical se sentent impliqués contre les conséquences délétères d’une société capitaliste devenue dispendieuse et excessive. Adeptes du « déchétarisme », ces derniers s’acharnent à trouver des invendus et à récupérer de la nourriture ou des objets jetés qui peuvent encore servir. Héritiers des « diggers », collectif anarchiste du XVIIème siècle contre l’argent et la propriété privée, certains punks pratiquent le dumpster diving, consistant à réutiliser ce qui allait être jeté dans une optique Do It Yourself, c’est-à-dire selon une organisation fondée sur l’auto-gestion. Magasins décroissants, commerces alternatifs, tout est bon pour faire feu de tout bois contre le consumérisme honni par les punks.

A présent, nous allons nous attarder sur la dimension animaliste et écologiste d’une certaine frange du punk.

Pour une résistance verte profonde

Si le mouvement musical porte une éthique contre les normes en vigueur notamment celles de notre rapport à la propreté, il s’investit également au sein des luttes écologistes et anticapitalistes. Nicolas Delon, rédacteur de l’article sur la libération animale, rappelle la connexion évidente entre plusieurs groupes et la défense d’un autre rapport au vivant. Par exemple, Chris Hannah, chanteur du groupe Propagandhi, tance l’indifférence du monde occidental cartésien à l’endroit des animaux : si le philosophe établit un dualisme entre la substance de l’ego et le monde naturel réglé selon des mécanismes froids, justifiant ainsi un rapport de prédation de l’Homme sur les autres espèces, le chanteur, lui, établit une continuité au sein du vivant. En faisant cela, ces musiciens ravivent l’antique querelle philosophique sur la différence entre les humains et les animaux : est-elle de degré ou de nature ? Ainsi, le végétarisme, le véganisme, l’animalisme, voire l’antispécisme surgissent au sein de pratiques culturelles dans lesquelles on ne s’attend pas forcément à les voir.

Par ailleurs, cette volonté de rompre avec les paradigmes de la modernité occidentale est parfois radicale. En effet, les adeptes du Straight-Edge préconisent un véganisme strict, un refus total de la prise de drogues ou encore de la promiscuité sexuelle, notamment dans la lignée de mouvements sévères issus du jaïnisme ou encore des Hare Krishna.

S’il veut donner une voix aux sans-voix, le punk ne peut oblitérer la cause animale. Lorsqu’ils amplifient une lutte, critiquent le système et engagent une résistance contre la société consumériste, les groupes s’interrogent sur notre mode de vie.

De plus, s’il veut donner une voix aux sans-voix, le punk ne peut oblitérer la cause animale. Lorsqu’ils amplifient une lutte, critiquent le système et engagent une résistance contre la société consumériste, les groupes s’interrogent sur notre mode de vie : NOFX, en proclamant, non sans ironie, Clams Have Feelings Too, se rapproche des réflexions entreprises par Peter Singer au sujet des « cas marginaux » (La Libération Animale). Ces dernières soulèvent la contradiction des sociétés modernes qui est celle d’accorder des droits à des humains aux capacités mentales extrêmement réduites, tout en récusant toute possibilité d’accorder des droits à des êtres vivants sensibles dont l’activité cognitive est plus ou moins égale à ceux-ci. En somme, il s’agit pour ces musiciens de mettre en avant le fait que les animaux sont « sentients », pourvus d’une sensibilité, ce qui doit nous faire prendre conscience du respect que nous devons avoir à leur égard. Par exemple, la chanson Potemkin City Limits de Propagandhi narre l’histoire du cochon Francis, échappé de l’abattoir, puis rattrapé et mis à mort. En nous confrontant à toute l’horreur de la condition animale actuelle, le chanteur nous pousse à surmonter ce que l’on nomme « le paradoxe de la viande », à savoir la feinte d’ignorer le processus qui a abouti à la viande que nous avons dans notre assiette.

En outre, si le courant du No Future a montré ses préoccupations concernant la condition des animaux, il ne peut la découpler du reste du vivant. Fabien Hein, auteur d’un article sur le lien entre le punk et l’écologie profonde, montre à quel point le véganisme, la permaculture mais aussi les ZAD restent des pratiques adoptées par les partisans du Do It Yourself. Si l’ordre néolibéral triomphant impose la dépendance par rapport aux grandes firmes, de nombreux punks préconisent une révolution écologique profonde, dans la lignée du penseur phare de ce mouvement à savoir Arne Næss. Ce dernier, critique de la shallow ecology (écologie superficielle), propose une ontologie holiste qui réaffirme l’interdépendance des différents éléments du vivant. Défenseur des affects comme moteurs de l’action à la manière d’un Johnny Rotten (« La colère est une énergie »), Næss prône un mode de vie extrêmement frugal dont les valeurs suprêmes sont l’auto-détermination et l’autodiscipline : « Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libre ! » dirait La Boétie. Si nous avons conscience d’un problème écologique majeur, la société de consommation planifie un « désespoir tranquille » (Thoreau), destiné à éteindre les velléités de changements radicaux initiées par les citoyens. A l’encontre de ce pessimisme ambiant, celui des « imbéciles malheureux » dont parlait Bernanos, il est nécessaire d’agir dans une optique libertaire pour rendre la Terre vivable et humaine, d’après une philosophie qui envisage le vivant comme un tissu d’éléments interconnectés, et non comme un terrain de compétitions permanentes.

Après avoir étudié l’aspect contestataire du punk à propos de l’écologie, abordons maintenant le lien entre ce mouvement et le féminisme, puis avec la spiritualité.

Un savoir situé contre le sexisme et le matérialisme

Comme de nombreux milieux, celui du punk n’échappe malheureusement pas à de multiples discriminations à l’encontre des femmes. Contre cette tendance fâcheuse, il s’agit de créer une connaissance située destinée à l’action.

Comme nous l’avons vu ci-dessus, le punk, malgré quelques différences notables, reste attaché à l’anarchisme, dont l’un des slogans proclame : « Ni Dieu, ni Maître, ni Patron, ni Mari ». Cette volonté farouche d’autonomie vis-à-vis des différentes formes d’oppressions ne pourrait pas être dissociée du féminisme. En effet, Louise Barrière, autrice d’un article sur ce sujet, affirme le lien indéfectible entre d’une part le punk, et d’autre part le militantisme contre le sexisme. Partisanes d’un partage des savoirs horizontal et égalitaire, les femmes punks se font les apologistes d’une épistémologie du standpoint, c’est-à-dire du point de vue. Comme de nombreux milieux, celui du punk n’échappe malheureusement pas à de multiples discriminations à l’encontre des femmes. Contre cette tendance fâcheuse, il s’agit de créer une connaissance située destinée à l’action. De nombreux groupes, notamment les Riot Grrrls ou les Bikini Kill, restent célèbres pour leurs revendications en faveur de l’autonomie maximale des femmes ou encore pour leur dénonciation de certains rapports délétères entre les genres. En organisant des « poches de sécurité » pour les femmes et les jeunes filles, de nombreux festivals alternatifs comme les Ladyfests s’engagent à créer des endroits destinés à parler d’expériences vécues de sexisme et d’agressions, ou encore à protéger les femmes de l’insécurité les concernant. En somme, il s’agit d’organiser par différents moyens des groupes autonomes d’émancipation destinés à libérer au maximum les femmes du poids de la domination patriarcale. A l’encontre d’une masculinité jugée « toxique », certaines formations de punk prônent une liberté pour les femmes de disposer de leur corps ou encore de choisir de leur plein gré d’accepter ou non une rencontre avec un homme : « I have the right – to refuse a date without feeling guilty » affirme avec fierté le groupe Potential Threat. A cette lutte féministe s’ajoutent d’autres luttes – antiracistes, anti-bourgeoises – dans le but de multiplier les points de vue des opprimés et cela dans une optique irrévérencieuse si chère aux punks.

Enfin, un dernier thème assez inattendu se retrouve lié à ce mouvement, à savoir la spiritualité. Si à première vue le punk semble hostile à toute forme de religion (I am an Antichrist..), il ne l’est pas à toute forme de spiritualité. En effet, si l’aspect pyramidal de la première peut entrer en contradiction avec la philosophie libertaire, Noah Levine, ancien drogué converti au bouddhisme, nous démontre l’affinité profonde entre d’une part, le punk, et d’autre part, les enseignements de Siddartha Gautama. Dans son ouvrage Dharma Punx, écrit en référence aux Dharma Bums de Kerouac, Levine dégage plusieurs valeurs que les deux mouvances ont en commun : le pacifisme, le refus de la superficialité, un certain ascétisme, et un penchant pour le végétarisme. Plus que des principes, ce sont des pratiques que certains punks partagent avec les bouddhistes : mise en sommeil des pensées, agitation des corps pour sortir hors de soi, volonté de se libérer d’affects négatifs.. Si la société industrielle moderne engendre beaucoup d’insatisfaction, ces modes de vie frugaux et alternatifs nous servent à envisager de nouvelles perspectives afin de parvenir à une autodétermination qui s’accorde parfaitement avec l’éthique punk.

Engagé et intellectuellement stimulant, ce court essai politique et esthétique cherche à bâtir des ponts entre différents courants philosophiques liés aux différents thèmes majeurs de l’actualité, et le punk, dont l’anarchisme se propose de penser à des solutions concernant l’avenir de tous. A l’heure où ce courant se trouve pris en otage par le marché ou désigné comme un mouvement suranné, la critique musicale Catherine Guesde remet à l’honneur ce dernier dans un ouvrage qui fera date.

Penser avec le punk, Catherine Guesde, PUF, 2022, 108 p.


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