Dans Le Rouge et Laure, Galien Sarde tente un pari stylistique ambitieux : composer un roman à l’esthétique résolument cinématographique, où le texte épouse le rythme du regard, découpe l’espace et joue sur une mise en scène particulièrement travaillée. À bien des égards, ce choix formel constitue l’un des aspects les plus séduisants de l’ouvrage, dont on regrette cependant que l’éclat se ternisse au fil des pages.

L’histoire elle-même s’articule autour d’un drame familial et d’une passion amoureuse prise dans un jeu d’ombres et de faux-semblants. L’histoire d’amour entre Laure, jeune femme fascinante et énigmatique et Gaspard Vance, le défunt est présentée sous un jour ambigu, entre véritable attachement et jeu de manipulation. Le voile d’ambiguïté qui recouvre cette histoire d’amour sert à définir le style du roman où les variations d’ombre et de clarté, les textures et les bruits ambiants sont décrits avec une précision qui confine parfois à l’hypnotique.
Dès les premières pages, la mise en place de l’espace et de la lumière constitue un langage qui frappe par son acuité sensorielle: « 5 juillet 2008, l’air est inerte. Un portail s’ouvre sur une allée qu’accusent les rayons du soleil. »
Cette attention extrême portée à l’agencement des images trouve son prolongement dans une syntaxe souvent syncopée, fragmentée, comme si chaque phrase cherchait à rendre le découpage du montage cinématographique. Ainsi, lorsque Laure guide l’enquêteur Bloom à travers la demeure de Gaspard Vance, la narration progresse à la manière d’un lent travelling intérieur : « Ils montent l’escalier sans contremarches, sous-tendu par des filins, et qu’une corde longe en guise de rampe. […] Il avise l’immense futon et ses alentours, comme une île, dont il n’a aucun mal à voir le corps d’un homme flotter à la surface, les bras inertes et les yeux vides. » Cette dynamique de l’image en mouvement est indéniablement réussie et participe de la singularité du roman.
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Un suspense en apnée
Si ce procédé confère au texte une force visuelle indéniable, il en devient rapidement une contrainte narrative qui, loin de servir l’histoire, tend progressivement à l’étouffer. L’intrigue, qui pourrait être celle d’un polar efficace, se dilue dans une surenchère esthétique. Il en résulte que les personnages peinent à exister au-delà de leur fonction dans le récit. Leur intériorité semble sacrifiée à la rigueur du cadre imposé par le texte. Ainsi, Laure, qui devrait incarner une présence magnétique et mystérieuse, reste cantonnée à un rôle d’image mouvante, évoluant avec grâce dans des décors savamment construits, mais sans réelle épaisseur psychologique.
L’incipit pose pourtant des bases prometteuses : un décès suspect, un huis clos oppressant, une galerie de personnages aux motivations ambiguës. Mais cette tension initiale se délite au fil des chapitres par un souci d’esthétisme qui occulte les possibilités dramatiques qu’offre son point de départ. L’enquête avance, certes, mais sur un mode languissant, éclipsée par une mise en scène qui se fait écran plutôt que vecteur de sens. On ferme le livre avec le sentiment que tout s’est joué ailleurs, dans la texture même de l’écriture, et que l’histoire, pourtant riche en potentialités, n’a été qu’un prétexte à cette quête formelle.
“En somme, Le Rouge et Laure est un roman qui séduit par son audace stylistique et sa recherche d’une narration hautement visuelle.”
En somme, Le Rouge et Laure est un roman qui séduit par son audace stylistique et sa recherche d’une narration hautement visuelle. Il témoigne d’un sens aigu du détail, d’une capacité à capter l’instant et à en restituer l’impact avec force. Galien Sarde excelle dans l’art de l’image, mais son récit manque d’oxygène. Ce qui aurait pu être un thriller captivant se mue en très bel exercice de style, certes, mais qui reste en surface.
- Le Rouge et Laure, Galien Sarde, Éditions Fables fertiles, 2025.
- Crédit photo : © SD2022 pour Éditions fables fertiles.
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