« Oeil d’aigle, jambe de cigogne / Moustache de chat, dents de loup, / Ce sont les Cadets de Gascogne/ De Carbon de Castel-Jaloux » : ils sont là ! Cyrano de Bergerac la pièce d‘Edmond Rostand créée en 1897 ne vieillit pas et attire encore et toujours les foules. La mise en scène de Georges Lavaudant (La Cerisaie à l’Odéon, La mort de Danton au théâtre MC93 Bobigny) se joue actuellement dans toute la France, avec Patrick Pineau dans le rôle du célèbre poète intrépide au long nez. François Caron interprète celui du Bret, le confident de Cyrano. À travers son personnage, il nous entraîne dans les coulisses de cette pièce tragi-comique qui achève le romantisme à coup d’alexandrins sur fond de capes et d’épées, d’histoire d’amour et du « beau »phrasé. Entretien.
« Dîtes-moi pourquoi vous regardez mon nez. »(Cyrano au Fâcheux)
En premier lieu, François Caron expose la création de la pièce : « C’est une commande du directeur de Bobigny qui a demandé à Georges Lavaudant de mettre en scène Cyrano. Ce dernier a accepté seulement si Patrick Pineau pouvait jouer. Si tu n’as pas l’acteur, tu n’as pas Cyrano ». Cyrano, ce personnage au jeu aussi grandiose que son nez, ce mousquetaire est amoureux de sa cousine Roxane. Trop complexé par ce roc, ce pic, ce cap, cette péninsule, porteur de sa laideur, il refuse de lui avouer. Agile du verbe, il se fait alors la plume du prétendant de cette dernière, Christian de Neuvillette, beau mais sot. La rhétorique de Rostand se décline en milliers d’alexandrins portés par le jeu délicieux de Patrick Pineau drôle et touchant. Pour François Caron, Georges Lavaudant est un metteur en scène émérite : « Il nous laisse une grande liberté dans le travail en sachant où il veut en venir. Il est extrêmement précis. Nous avons réalisé un travail de lecture à table très intense. Lui, il prend la position du naïf et remet en cause des choses qui nous paraissaient évidentes. » Georges Lavaudant a une technique de travail qui lui est propre : le son et la lumière, ainsi que les décors sont présents lors des premiers pas du montage de la pièce « Cela te permet de voir dans quelle esthétique générale tu vas te déplacer. »
Les personnages évoluent dans un décor (conçu par Jean-Pierre Verger) souple, symbolique, léger, un choix stratégique pour cette pièce qui nécessite cinq décors. « Le changement de décor est aussi fluide que le jeu des acteurs » selon le comédien qui interprète le rôle de Le Bret, le meilleur ami de Cyrano.
« Que ces fats aux grands airs belliqueux / Te fausseront l’esprit si tu n’écoutes qu’eux ! » (Le Bret à Cyrano)
« Henri le Bret a réellement existé, tout comme Cyrano de Bergerac. Si l’on connaît des choses sur cet auteur c’est grâce à Henri Le Bret qui est devenu son biographe». François Caron revient sur le paradoxe de la pièce : un Cyrano bavard qui manie le verbe aussi bien que l’épée, et porte à lui seul la moitié des 2600 vers qui composent la pièce. « Seulement, lorsque Cyrano parle de lui, lorsqu’il avoue, il meurt. » Le Bret est le seul à qui Cyrano avoue son amour pour sa cousine. Il apparaît dès lors comme le personnage qui va déclencher le nœud de la pièce : « l’amour impossible ».
Pour François Caron son personnage est « L’unique protagoniste à qui Cyrano peut dire les choses sans mourir. Le Bret et Cyrano ressemblent à ces duos du théâtre comme Philinte et Alceste ou Horatio et Hamlet. Le Bret c’est le modérateur de Cyrano, c’est la part raisonnable du héros, c’est quelqu’un de droit. Cyrano a le charme de l’homme qui refuse les compromis comme le prouve la tirade des « non merci ». Le Bret résiste à Cyrano bien qu’il soit le chef de troupe.» François Caron en profite pour nous livrer le rôle rêvé pour un acteur « Le rôle rêvé, on ne le connaît pas par avance. C’est la rencontre entre un acteur et un personnage, c’est le fruit de la surprise. »
« Improvisez. Parlez d’amour. Soyez splendide ! »(Roxane à Cyrano)
Lorsque nous assistons à une représentation de Cyrano, le texte nous est si fluide qu’on en oublie les alexandrins. « C’est la dernière grande pièce en alexandrins, créée la même année qu’Ubu Roi. On trouve des vers aux alexandrins classiques, des vers de mirlitons, et des déconstructions de l’alexandrin. Ce qui donne l’impression que c’est de la prose, une prose moderne.» La maîtrise totale de l’alexandrin de Rostand offre au lecteur spectateur un doux « parler », les vers y sont finement ciselés. Jeux de mots, figures de styles, stichomythie, on rit. L’alliance du texte de Rostand, de la mise en scène dynamique, des acteurs comiques dans leur expression même, fait de cette adaptation de Cyrano, un moment intense.
Si la pièce est divinement écrite, elle veut surtout célébrer la beauté du langage amoureux
Si la pièce est divinement écrite, elle veut surtout célébrer la beauté du langage amoureux. Et la difficulté à tisser les sentiments brouillés, en tapis d’or. Mais la beauté du langage c’est aussi ce qui triomphe de la beauté physique.
« C’est un succès »(Cyrano à Christian)
Le public s’amuse, et la réception et les critiques sont excellentes. Déjà joué une centaine de fois, François Caron ne se lasse pas du texte : « Je continue à chercher d’être au plus juste, au plus près de ce que la pièce raconte. C’est ça la beauté du théâtre, tu travailles avec ce que tu es au moment où tu le fais. C’est un art vivant, ce que le partenaire t’envoie est toujours surprenant. Se parler, ça se travaille tous les soirs. Et il y a des soirs où l’on se parle mieux que d’autres ! Ce que je cherche c’est de ne pas jouer, c’est d’être et ce n’est jamais gagné ! » L’acteur explique que l’interaction entre les comédiens est primordiale. « On s’entend tous super bien. Les répétitions dans des conditions météorologiques démentes l’année dernière à Lyon, nous ont soudés. Nous avions l’impression d’être une équipe de rugby qui jouait en Russie en plein hiver! » Après avoir joué jusqu’à Milan, la joyeuse troupe aux costumes hauts en couleur ne s’arrête pas là et continue sa tournée aux quatre coins de la France. Courrez voir Cyrano « l’homme aux phrases vantardes » et « aux vers qui valent plus que zéro » !
Dates de la pièce :
- Perpignan: 9 et 10 janvier 2014
- Marseille: 15 au 18 janvier 2014
- Amiens: 22 au 24 janvier 2014
- Châlon en Champagne: 27 & 28 janvier 2014
- Draguignan: 31 et 1er février 2014
- Béziers: 6 au 9 février 2014
- Mulhouse: 12 au 14 février 2014
Marie Gicquel