Festival Fringe 2023 #3 – Les magiciens du geste

Dernier souvenir et gros coup de cœur du Festival Fringe à Édimbourg : la troupe franco-américano-britannique Voloz Collective, qui revenait cette année en Écosse après un large succès en 2022. Formé·es à l’École Jacques Lecoq, les quatre comédien·nes et metteur·euses en scène proposent un théâtre physique spectaculaire, empreint d’émotion, de magie et d’humour.
On pouvait, cette année, redécouvrir leur premier spectacle, The Man Who Thought He Knew Too Much, une délicieuse plongée dans la vie mouvementée d’un publicitaire français qui empêche malgré lui l’assassinat du président Kennedy, ainsi que leur nouvelle création, The Life Sporadic of Jess Wildgoose, portrait de la descente aux enfers d’une jeune américaine qui rêvait de conquérir Wall Street.

The Man Who Thought He Knew Too Much

The Man Who Thought He Knew Too Much

Dans le théâtre physique du Voloz Collective, tous les ressorts de l’imagination deviennent réalité : avec une présence de jeu époustouflante, les comédien·nes créent un monde en partant de presque rien. Paul Lofferon, Sam Rayner, Emily Wheatman et Olivia Zerphy jouent tous les personnages, les animaux, les lieux, les objets… Du cerf majestueux de la toundra sibérienne aux touches rigides d’une machine à écrire en passant par un mercenaire russe ou encore un spaghetti englouti, les quatre interprètes déploient une palette de jeu phénoménale, à laquelle on adhère sans aucun mal. Ils et elles n’ont besoin que d’infimes repères pour nous emmener dans un univers fourmillant de détails et de trouvailles.

On perçoit derrière le moindre geste des heures de travail minutieux, pour dessiner avec générosité les contours de ce monde imaginaire.

Tout est d’une grande précision : l’intrigue, digne d’un film d’espionnage, se déploie avec finesse, image par image, disséminant des indices tout au long de sa course. On les attrape avec joie et une attention totale, permise grâce à une grande maîtrise du rythme : tout arrive au bon moment, dans une synchronisation impressionnante. On perçoit derrière le moindre geste des heures de travail minutieux, pour dessiner avec générosité les contours de ce monde imaginaire.
C’est un spectacle avant tout visuel, qui rend hommage à tous les genres du cinéma : il y a la folie douce d’un Wes Anderson, la solennité d’un Sergio Leone, l’absurdité d’un Tarantino et le suspense haletant d’un Hitchcock. Le montage se fait et se défait sous nos yeux : c’est un spectacle qui se rembobine, fait des ralentis, des arrêts sur image, superpose des plans… Le musicien Frederick Waxman, présent au plateau avec les quatre comédien·nes, accompagne tout cela avec brio. Il a le regard rieur et complice de celui qui sait bien que tout cela n’est que du théâtre.

The Man Who Thought He Knew Too Much

La magie du théâtre rejoint ici celle des rêves d’enfant, et des mondes où l’on peut tout inventer : un parachute qui apparait au moment critique, des chevaux qui débarquent comme par hasard, le souvenir miraculeux d’un mot de passe en russe… Roger, ce personnage qui « croyait en savoir trop », a quelque chose d’un enfant qui s’invente une vie dont il est le héros (et des victoires bien utiles à tous les championnats sportifs de France).

Le Voloz Collective caresse le réel avec beaucoup de finesse et de sensibilité, pour se rappeler des enchantements quotidiens.

On le suit avec tendresse dans ces fantasmes que l’on reconnaît, ces voyages homériques à l’autre bout du monde, dans des eaux profondes ou en orbite au-dessus de la terre qui permettent de regarder le réel d’un peu plus haut ou un peu plus loin. Les comédien·nes du Voloz Collective sont les agent·es de cet horizon : ils et elles caressent le réel avec beaucoup de finesse et de sensibilité, pour se rappeler des enchantements quotidiens. Avec The Man Who Thought He Knew Too Much, on se rappelle de quelque chose qu’on avait pu oublier : « aujourd’hui pourrait être le jour où arrive quelque chose d’extraordinaire ».

  • The Man Who Thought He Knew Too Much, conçu et interprété par le Voloz Collective (Paul Lofferon, Sam Rayner, Emily Wheatman et Olivia Zerphy), accompagné·es de Frederick Waxman (musique).

The Life Sporadic Of Jess Wildgoose

The Life Sporadic Of Jess Wildgoose

Dans cette deuxième création du Voloz Collective, Roger Clément, le publicitaire français aux mille aventures, laisse sa place à Jess Wildgoose, une jeune femme ambitieuse qui se rêve trader. On retrouve les quatre même comédien·nes qui redoublent d’ingéniosité pour faire vivre cette nouvelle intrigue.
Toujours sans décor et très peu d’accessoires, ils et elles nous plongent cette fois dans le monde de la finance et tout ce qu’il peut avoir d’anxiogène et d’oppressant. C’est un univers plus digital et sombre, où la fumée de cigarette imaginaire se mêle à celle des rues new-yorkaises. Nous sommes à la fin des années 2000, juste avant la crise des subprimes : Jess Wildgoose est prête à en découdre avec Wall Street, qu’elle fantasme depuis des années. Nous plongeons en même temps qu’elle dans un monde absurde où l’on ne parle que de « money » à longueur de journée (car l’argent est bien « la seule histoire à laquelle nous croyons tous ») et où tout finit par perdre son sens.

The Life Sporadic Of Jess Wildgoose

Là encore, le collectif se revendique d’inspirations cinématographiques, allant de Pixar au Loup de Wall Street. On y retrouve beaucoup d’humour bien sûr, notamment dans l’hommage rendu à The Big Short et son interlude revisité. Les comédien·nes parodient avec intelligence les codes de ce monde financier, qu’ils soient sociaux, vestimentaires, politiques ou gestuels.
Ils et elles parviennent également à nous emmener dans les méandres de la psychologie de d’un personnage à la fois attachant et inquiétant, qui finit par devenir ce qu’elle haïssait. On sombre avec elle dans une forme de folie, très justement suggérée par des jeux de miroirs et des alter egos qui n’existent pas.

On est scotché par la puissance avec laquelle se côtoient l’ironie et la violence.

La grande force de ce spectacle est d’utiliser le théâtre physique et ses nombreux ressorts comiques pour explorer un univers beaucoup plus noir, teinté de tentatives de suicide, de crise mondiale et de dépression. On est scotché par la puissance avec laquelle se côtoient l’ironie et la violence, toujours permise par une exigence de jeu, une impressionnante physicalité et une maîtrise totale du rythme.

  • The Life Sporadic Of Jess Wildgoose, conçu et interprété par le Voloz Collective (Paul Lofferon, Sam Rayner, Emily Wheatman et Olivia Zerphy), accompagné·es de Frederick Waxman (musique).

Dans The Man Who Thought He Knew Too Much et The Life Sporadic Of Jess Wildgoose, la qualité du théâtre physique du Voloz Collective se déploie dans des univers différents mais en réponse les uns des autres, miroirs d’une société d’enfants qui jouent aux adultes. Le Voloz Collective dresse des portraits pleins d’émotion de personnages un peu fous et héroïques, dont les mondes intérieurs débordent et se répandent magiquement devant nous.

Illustration : The Life Sporadic Of Jess Wildgoose


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