Festival d’Avignon : où voir du cirque ?

Si les formes circassiennes sont encore très timides voire inexistantes dans le In, deux événements du Off s’imposent comme des rendez-vous incontournables du cirque contemporain : le festival Occitanie fait son cirque en Avignon sur l’île Piot, et le festival Villeneuve en Scène à Villeneuve-lès-Avignon. Pour voir du cirque à Avignon, il faut traverser le pont !
Retour sur les éditions 2023 de ces deux festivals qui célèbrent le cirque contemporain sous toutes ses formes et qui proposent, de l’autre côté des remparts et de la frénésie avignonnaise, un espace de rencontres et un moment d’accalmie.

Occitanie fait son cirque en Avignon

Impulsé par la région Occitanie, le festival Occitanie fait son cirque en Avignon est coordonné par trois structures majeures du rayonnement circassien en région Sud : La Verrerie d’Alès (Pôle National Cirque), La Grainerie (Fabrique des arts du cirque et de l’itinérance) et CIRCa (Pôle National Crique).
À 15 minutes à pied de la Porte de l’Oulle, un espace de cirque éphémère s’installe chaque année sur l’île Piot. Du 8 au 16 juillet 2023, sept compagnies ont posé leurs bagages et offert à un public nombreux leurs univers multiples et sensibles, tentant toujours de redéfinir les contours du cirque contemporain.

The end is nigh ! © Circusögraphy

Coup de coeur absolu : The end is nigh ! (compagnie La Barque Acide)

Une bande de neuf clowns tristes nous invitent à attendre avec eux la fin qui approche, avec toute l’absurdité et l’humour dont on a besoin pour la regarder en face. Ces artistes sont des jongleur·euses, fakirs, fil-de-féristes et acrobates. Ils et elles ont tous·tes quelque chose d’étrange et de décalé, mais leur regard est doux, complice. Traversé·es par des tocs, des spasmes et des sursauts, ils et elles jonglent avec leur anxiété comme avec leur légèreté.
Dans The end is nigh !, on navigue toujours entre la magie et le désenchantement, entre l’amertume et le désir. Derrière ce goût de finitude, les neuf interprètes parviennent à nous faire immensément rire, en déployant leurs talents multiples dans cet espace presque vide. Le moindre objet devient agrès et invite mille autres possibles : une tartine, un grille-pain, un pneu, un caddie, un ballon, un amas de chaises… Et le corps des autres aussi. On se recentre sur ce que l’on connaît, ce qui fait sens dans un monde qui n’en a plus, ce qui a l’assurance du familier.

La Barque Acide réenchante le désenchantement en allant chercher la joie, le rire et la beauté là où on n’en voyait plus.

Tout y est d’une grande délicatesse et fait état d’une liberté totale : ils et elles créent un endroit inédit sous ce chapiteau, un refuge où attendre l’apocalypse en riant. La Barque Acide réenchante le désenchantement en allant chercher la joie, le rire et la beauté là où on n’en voyait plus. C’est un spectacle d’une grande humilité et d’une grande intelligence, orchestré par des artistes très talentueux, tant dans leur discipline individuelle que dans leur remarquable énergie de groupe.

  • The end is nigh !, conçu et interprété par Marie Vanpoulle, Carla Carnerero-Huertas, Steph Bontout-Mouat, Karita Tikka, Maristella Tesio, Boris Couty, Marcelo Ferreira Nunes, Léo Rousselet et Aidan Rolinson-Rainfort (compagnie La Barque Acide)
Mon nom est Hor

Coup de coeur visuel : Mon nom est Hor (compagnie PSIRC)

Avec Mon nom est Hor, Wanja Kahlert et Adrià Montaña, duo d’acrobates en main à main de la compagnie PSIRC, proposent une mystérieuse et bouleversante tentative de définition d’une existence. Ils nous racontent un souvenir commun lié à la création de leur spectacle, ce voyage dans une grotte de la région d’enfance de Wanja : dans l’obscurité et le silence, dans cet espace suspendu qui se fait refuge, temple et peut-être aussi plongée dans le néant, les deux acrobates ont cherché ce qu’ils étaient, individuellement, l’un pour l’autre et l’un avec l’autre.

Devant nous, les deux artistes repartent en quête des morceaux d’un démembrement. Ils jouent avec tout ce qui peut se fragmenter, s’émietter, se segmenter : l’éclairage et la musique, d’abord, contrôlés en direct par des machines électroniques de bric et de broc. Il y a aussi les marionnettes (conçues et construites par Wanja Kahlert), ombres de leur duo et miroirs déformants. Le rapport des deux comédiens à ces êtres de bois et de mousse est profondément singulier et bouleversant : ils leurs donnent une forme de vie qui est un peu de la leur, mais ils se laissent aussi traverser par leur contingence.

Un monde familier et inconnu à la fois, où il nous est permis d’errer sans trouver de réponses.

Wanja et Adrià sont des créateurs d’images, dont ils maîtrisent autant la poésie que la difformité. Ils nous emmènent avec une rare simplicité dans un monde familier et inconnu à la fois, où il nous est permis d’errer sans trouver de réponses. Avec, en fond, cet art du main à main qui les rassemble et dont ils se servent pour interroger la performativité de leur existence.

  • Mon nom est Hor, conçu et interprété par Wanja Kahlert et Adrià Montaña (compagnie PSIRC)
Lento e violento © Francis Rodor

Coup de coeur magique : Lento e violento (Valentina Cortese)

Dans Lento e violento, Valentina Cortese nous embarque dans une étrange atmosphère, à la frontière entre le réel et le cauchemar. Nous nous pensons d’abord spectateur·rices privilégié·es d’une innocente conférence autour de l’impact de la musique et ses fréquences sur notre perception et nos émotions. Accompagnée de son piano, elle se fait cheffe d’orchestre de notre groupe d’attentif·ves, qui se plie consciencieusement à ses indications et exercices.

Son personnage se défait : son discours et son corps s’interrompent, se répètent, se dédoublent…

Avec sa voix douce et son large sourire, nous n’avons pas d’autre choix que de lui faire confiance. Pourtant, peu à peu, son personnage se défait : son discours et son corps s’interrompent, se répètent, se dédoublent… L’atmosphère semble alors plus proche de celle du début d’un film d’horreur.
Cette transition se fait avec beaucoup de finesse, notamment grâce à la performance de jeu (et de danse) de Valentina Cortese, à la fois maîtresse de conférence, clown, créature fantastique… Grâce à la magie nouvelle et à un grand travail chorégraphique et rythmique, Lento e violento nous entraîne dans une réalité vacillante dont nous ne sortons pas indemnes.

  • Lento e violento, conçu et interprété par Valentina Cortese avec l’aide de Marie Vela (compagnie Calentina Vortese)
Le Solo © Markovic

En complicité avec le Théâtre des Doms, rendez-vous avignonnais de la création en Belgique francophone, on pouvait découvrir Le Solo, conférence gesticulée et circassienne de Lucie Yerlès et Gaspard Schelck, artistes bruxellois. La circassienne Lucie Yerlès nous parle, du haut de son tissu aérien, de sa fascination pour les neurosciences. Une question l’obsède : pourquoi ressentons-nous des émotions face à un spectacle de cirque ? Pourquoi aimons-nous autant le risque ? Nous devenons alors, avec plaisir, les cobayes de sa recherche, qui se construit autant par le discours didactique que par le mouvement circassien. On retient surtout la deuxième partie du spectacle, où tout s’emballe de manière assez surprenante : nous sommes alors embarqué·es pour de bon dans cette insolite aventure circassienne et neuroscientifique.

  • Le Solo, conçu par Lucie Yerlès et Gaspard Schelck, interprété par Lucie Yerlès

La danse s’invite également à Occitanie fait son cirque en Avignon avec le puissant spectacle Baal de la chorégraphe Florence Bernad (Groupe Noces), porté par cinq hommes danseurs et acrobates et un chœur de femmes amateures (qui se construit avec de nouvelles participantes dans chaque ville de tournée du spectacle). Une performance physique, parlée et chantée qui tente d’interroger en détails l’architecture de la masculinité.

  • Baal, conçu et chorégraphié par Florence Bernad, avec Franck Saurel, Simo Nahhas, Diogo Santos, Antonio Milheiceiros, Flavien Esmieu, Gypsy David et la chorale de chanteuses amateures

Dans la programmation de cette dix-septième saison, il était également possible d’assister à du “cirque virtuel” avec l’expérience Hold on, proposée par la compagnie Fheel Concepts : une expérience de réalité virtuelle sous casque, qui permet aux spectateur·rices de se hisser tout en haut d’un chapiteau, dans la peau d’un artiste.
Une fois redescendu sur terre, on pouvait enfin retrouver Morgan Cosquer et son seul-en-scène jonglé UmWelt, un récit d’adaptation et d’utopie tout en délicatesse, qui nous avait déjà beaucoup marqué au Festival Rencontre des Jonglages.
Sept spectacles d’une grande diversité, sept expériences sensibles et sensorielles, qui s’intéressent à l’acte circassien et ce qu’il provoque chez l’artiste autant que chez le public. Nous sommes partie prenante d’une réflexion en cours, d’un champ des possibles ouvert par ces compagnies qui nous intègrent complètement dans l’équation spectaculaire.

Villeneuve en Scène

Encore quelques minutes de marche ou de vélo et vous tomberez sur la très belle ville de Villeneuve-lès-Avignon, réinvestie au mois de juillet par le festival Villeneuve en Scène. Celui-ci se définit comme un « Slow Festival » : une possibilité de trouver refuge dans des espaces de verdure, à distance de l’étouffement avignonnais intra-muros.
On y découvre des propositions multiples qui ne se limitent pas aux arts du cirque : c’est un festival « d’écritures itinérantes », qui fait la part belle aux textes qui se déploient dans diverses formes.

Avant la nuit d’après © Hervé Kielwasser

Coup de coeur frissonnant : Avant la nuit d’après (compagnie EquiNote et Marie Molliens)

Une formidable expérience de théâtre équestre où le fantasme et le cauchemar se mêlent à l’univers shakespearien.

Avant la nuit d’après, c’est une histoire de fantômes, de manège et de chevaux. La compagnie EquiNote, mise en piste par Marie Molliens, propose ici une formidable expérience de théâtre équestre où le fantasme et le cauchemar se mêlent à l’univers shakespearien. Hamlet est là, parachuté dans cette étrange fête foraine après sa mort, rencontrant tous·tes celles et ceux qui l’ont trahi ou aimé.
Le maître de cérémonie est le musicien David Koczij. Il nous accueille puis guide Hamlet, interprété par le monocycliste et trampoliniste Benoît Charpe, à travers son voyage fantasmagorique. Multi-instrumentiste, il livre une performance sensationnelle en accompagnant musicalement l’ensemble de ce songe hallucinatoire. Au son de ses instruments et de sa voix se déploient les corps et les agrès (mât chinois, trampoline et, bien sûr, voltige à cheval), pour proposer une expérience totale.

Au cœur de cette nuit d’après se tiennent, majestueux, les chevaux de la compagnie EquiNote. Les deux voltigeur·euses et créateur·rices de la compagnie, Sarah Dreyer et Vincent Welter, les chevauchent avec une grâce exceptionnelle, produisant des images d’une grande beauté. Ces chevaux sont ici « passeurs d’âmes et de souvenirs » : leur simple présence raconte beaucoup, et forme un très beau dialogue poétique avec les présences fantomatiques des personnages.
On ressort renversé·e de ce chapiteau, bouleversé·e par cette communauté d’une nuit, circassienne et poétique, dans laquelle nous avons généreusement été accueilli·es.

  • Avant la nuit d’après, conçu et interprété par la compagnie EquiNote, mis en piste par Marie Molliens, avec Virginia Danh, Benoît Charpe, Sarah Dreyer, Vincent Welter et les chevaux Kalyne, Lugano, Dolmen, Popeye, Quimper et Circo
La Boîte de Pandore © Matthieu Ponchel

Coup de coeur intime : La Boîte de Pandore (compagnie Betterland)

En coprogrammation avec La Chartreuse (Centre national des écritures du spectacle), dans le cadre des Rencontres d’Été, on pouvait découvrir le très beau spectacle de la compagnie Betterland, La Boîte de Pandore. Conçu et interprété par Marion Coulomb, ce seule-en-scène aborde la question de l’intime, de l’enfance qu’on arrache. L’artiste circassienne, grâce à une corde lisse, une guitare électrique, un petit théâtre de marionnettes et des couteaux aiguisés, nous conte l’histoire de sa douleur mais aussi celle de sa libération.

Parler et être écouté·e, faire son propre récit.

Marion Coulomb ouvre la boîte de Pandore et fait de nous ses complices : pour lutter contre le viol et les traces de l’abject, il faut briser le silence, même lorsque cela nous paraît interdit. Parler et être écouté·e, faire son propre récit. Avec beaucoup d’humour et de poésie, Marion Coulomb se réapproprie ce qui lui a été volé. Au cœur de La Chartreuse, qui redevient sa chambre d’enfant, elle affirme son identité, ses rêves, sa douleur, les choses qu’elle aime et les choses qu’elle n’aime pas, les choses qu’il ne faut pas dire et surtout les choses qu’il faut dire pour ne plus jamais refermer toutes les boîtes de Pandore.

  • La Boîte de Pandore, conçu et interprété par Marion Coulomb, mise en scène par Pépita Car (compagnie Betterland)

Coup de coeur poétique : VRAI (compagnie Sacékripa)

VRAI © deutsch-art

L’artiste Étienne Manceau et la compagnie Sacékripa nous invitent, pour le spectacle VRAI, dans un étrange dispositif. Assis autour d’une structure circulaire, dont nous ne voyons la scène intérieure qu’à travers une petite lucarne, nous sommes équipé·es d’un casque audio. Chaque spectateur·rice voit donc le spectacle depuis un point de vue différent, et avec un champ de vision très réduit.

Un univers très singulier proche du théâtre d’objets où les petits bricolages du quotidien prennent une dimension poétique.

Pourtant, Étienne Manceau nous emporte complètement, dans un univers très singulier proche du théâtre d’objets où les petits bricolages du quotidien prennent une dimension poétique.
Accompagné de Candide, son partenaire silencieux, Étienne Manceau réinvente une série de gestes ordinaires pour en faire de mini performances qui sollicitent tous nos sens (et même l’odorat !). Du rien émerge le tout, du hasard naît la beauté, de l’imprévu jaillit le sens poétique.

  • VRAI, conçu et interprété par Étienne Manceau et Candide Lecat (compagnie Sacékripa). Le deuxième spectacle de la compagnie, Vu/Vue, était présenté au Théâtre du Train Bleu (critique à lire ici).

Villeneuve en scène, ce sont aussi des corps qui investissent les espaces publics : on pouvait notamment se laisser emporter par de la danse avec le solo Autrement qu’ainsi (compagnie Yann Lheureux), la pulsation groupée Short People (compagnie Vilcanota) et l’hypnotisante Valse à Newton (compagnie Le Grand Jeté !).
Du théâtre de texte, en partenariat avec le Théâtre de La Manufacture – CDN Nancy-Lorraine pour Dissolution et Skolstrejk (mises en scène de Julia Vidit), du théâtre radiophonique avec Rire de tous les mots (compagnie TSF) et du théâtre en plein air avec Passage du Nord-Ouest (groupe Tonne) et Continent (Komplex Kapharnaüm).
Et du cirque sous chapiteau, bien entendu, avec le ludique Cabaret Renversé (compagnie La Faux Populaire) et l’inclassable Anatomie du désir (compagnie Les Choses de rien).

Cette année encore, on pouvait donc découvrir à Occitanie fait son cirque en Avignon et à Villeneuve en Scène une programmation profondément riche et éclectique, qui invite autant au rêve qu’à la réflexion, et qui veille, avant tout, à réunir.
On se réjouit de la pérennité de ces deux rendez-vous qui ne parasitent en aucun cas le festival intra-muros, mais le complètent avec intelligence.

  • Mention également à deux autres spectacles de cirque intra-muros, coups de coeur du Festival Off : La Prolepse des profanes de Martin Cerf (compagnie Armistice) à L’Atelier (La Manutention), dont la critique est à lire juste ici, et Assis de Jérôme Thomas dans le jardin du Musée Louis Vouland, dont la critique est à lire juste là.

Crédit photo : Occitanie fait son cirque en Avignon © Clara Campoy


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