Henri Langlois, cinéphile militant

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Langlois transportant des bobines de film (© Enrico Sarsini)

Pour fêter le centenaire de la naissance d’Henri Langlois, la Cinémathèque française consacre une exposition à son fondateur. L’occasion pour Zone Critique de dresser le portrait de cet homme affamé de pellicules qui fut la figure tutélaire du cinéma français pendant 40 ans.

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9 avril – 3 août 2014

« Nous perdons notre guide et nous nous sentons seuls dans la forêt. » Les mots de Jean Renoir résument parfaitement le sentiment de la famille du cinéma français après la mort soudaine d’Henri Langlois le 13 janvier 1977. A 62 ans, le pâtre des salles obscures s’est effondré dans la rue, terrassé par une crise cardiaque.

La Cinémathèque française perdait alors son fondateur, son inspirateur, son gourou. Les adeptes de Langlois pleuraient la disparition d’un dénicheur de trésors cinématographiques enfouis, un découvreur de talents oubliés, un programmateur iconoclaste, un partisan de la pluri-disciplinarité artistique, un homme chérissant le passé mais résolument tourné vers l’avenir du cinéma pour qui chaque film, quelque soit son succès, avait valeur d’œuvre.

« Brebis galeuse »

Henri Langlois naît dans une Europe en guerre, le 13 novembre 1914. Il grandit à Smyrne en Turquie, aujourd’hui Izmir. Au début des années vingt, Grecs et Turcs se disputent la ville. Les affrontements se consument dans un gigantesque incendie en 1922. Les étrangers fuient la ville ravagée ; la famille Langlois déménage à Paris où Henri reçoit un projecteur Pathé-Baby.

Même s’il n’avait que 8 ans à l’époque, l’événement marque durablement le petit garçon qui constate que d’immenses richesses peuvent disparaître en très peu de temps. Sa vie sera alors guidée par une seule ligne de conduite : chercher, trouver, conserver, admirer et protéger des kilomètres de bobines pour éviter qu’elles ne sombrent dans les fumées de l’oubli. Jean-Luc Godard dira de lui : « Henri Langlois a donné chaque vingt-quatrième seconde de sa vie pour sortir toutes ces voix de leurs nuits silencieuses, pour les projeter dans le ciel blanc du seul musée où se rejoignent enfin le réel et l’imaginaire. »

Issu d’une famille mêlant aristocratie et grande bourgeoisie, le jeune Henri se considère lui-même comme la « brebis galeuse » des Langlois car « [il aimait] trop le cinéma ». S’opposant à son père qui souhaite l’inscrire à la faculté de droit, l’adolescent rebelle se saborde au bac en rendant copie blanche. Son chemin va alors se tracer sur grand écran.

Correspondances et résonances cinématographiques

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Henri Langlois et Georges Franju.
© Collection La Cinémathèque française

En 1935, à seulement 20 ans, il fonde Le Cercle du Cinéma avec Georges Franju (cinéaste) et Jean Mitry (futur historien du cinéma), prémisse de la Cinémathèque qui sera créée un an plus tard. L’objectif de Langlois est double : récupérer les copies du plus grand nombre de films possibles afin de constituer un patrimoine cinématographique, puis les programmer en les associant selon son bon vouloir.

« Il y a toute une science camouflée derrière un programme bien fait, c’est ce qu’on appelait la haute couture. Les coutures ne se voient pas. Des liens se créent entre les films. Il se passe des choses. C’est comme un accrochage de tableaux : des surprises fabuleuses sont possibles. » raconte Henri Langlois. Déjà doté d’une culture cinématographique impressionnante malgré son jeune âge, il s’acharne à innover tous les soirs dans sa programmation. Pour lui, les films doivent résonner entre eux, se répondre, correspondre. Surplombant toute l’histoire du cinéma, il se veut un monteur en chef articulant les films selon sa convenance pour faire émerger de nouvelles émotions et enrichir la mémoire du 7ème art.

Henri Langlois va donc planer sur la Cinémathèque (et sur le monde du cinéma français) pendant 41 ans, presque sans interruption. Pendant la deuxième guerre mondiale, il s’acharne à projeter des films et à enrichir sa collection de pellicules et de matériel, tout en protégeant des œuvres étrangères frappées par la censure allemande. Le résistant culturel va jusqu’à cacher des bobines dans un landau !

En 1956, toujours à la pointe de son combat, il lance un vibrant appel au public français dans la brochure programme « 25 ans de cinéma » à l’occasion des 20 ans de la Cinémathèque : « Comprenez que l’on n’a pas le droit d’abandonner aux usines de produits chimiques l’Art le plus significatif, les plus essentiel, le plus constructif de notre temps. Joignez-vous à nous pour arrêter ce crime contre la civilisation qu’est la destruction dans négatifs des anciens films. »

La Cinémathèque, foyer des artistes

A la fin des années cinquante il devient une sorte de mentor pour les réalisateurs de la Nouvelle Vague. Godard, Truffaut, Rhomer… sont assidus au premier rang de la salle de projection de la Cinémathèque. Ils s’enrichissent du passé pour mieux renouveler le cinéma du futur.

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Christiane Rochefort, Jean Rouch, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard et Henri Attal
© Collection La Cinémathèque française.

Ils sont également les premiers défenseurs de Langlois lorsque celui-ci se fait débarquer par André Malraux en février 1968 (le ministre de la culture s’agaçait sans doute de son omnipotence et de sa mauvaise gestion administrative…) « A la seconde où Henri Langlois quitte la Cinémathèque française, la Cinémathèque française cesse d’exister ! » déclare le réalisateur Alexandre Astruc dans Le Monde. La mobilisation générale du cinéma français et international porte ses fruits : Langlois retrouve son trône deux mois plus tard. Déjà populaire, il devient légendaire suite à cette « affaire Langlois » en devenant un symbole de la résistance anti-gouvernementale quelques semaines avant mai-68.

Dans son « foyer des artistes », comme l’appelle Jean Cocteau, le débonnaire Langlois ouvre la porte à tous les arts plastiques. Il entretient des liens privilégiés avec de nombreux peintres : Miro, Matisse (qu’il a filmé au travail), Magritte, Chagall… Il présente des œuvres de Marcel Duchamp, Man Ray ou Fernand Léger à la Cinémathèque qu’il envisage comme un « temple de l’art moderne ». Un temple où le surréalisme atteindrait son heure de gloire et où le cinéma ne serait pas aliéné par la narration. Féru d’abstraction, Langlois déclare ainsi : « L’avant-garde n’ennuie jamais même quand ses films semblent vides de tout contenu apparent, car ce sont des jeux auxquels on nous demande de bien vouloir participer. »

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Henri Langlois reçoit un Oscar, entouré de Gene Kelly et Jack Valenti à Hollywood, 2 avril 1974
© Julian Wasser / Hulton Archives.

Ce mélange des arts se retrouve dans les expositions qu’Henri Langlois organise à partir de 1945, en France et dans le monde entier. Pour conclure son œuvre, ce bon vivant au double-menton souvent surmonté d’un sourire rêvait de réaliser un « musée imaginaire » consacré à la passion de sa vie. Grâce à son travail et à son aura, il côtoie le gratin du cinéma mondial, accueille Charlie Chaplin ou Alfred Hitchcok à la Cinémathèque et reçoit même un Oscar d’honneur à Los Angeles en 1974, trois ans avant sa mort.

Le musée imaginaire qu’il avait planifié n’a jamais vu le jour. Mais Henri Langlois a tout de même fécondé les chimères de nombreux cinéastes et cinéphiles et a laissé derrière lui un patrimoine cinématographique inestimable.

 

Lola Cloutour


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