Hors des luttes et des partis, une poignée d’activistes s’oppose à la construction d’un aéroport sur le territoire de Notre-Dame des Landes. En 2018, le projet est abandonné. Depuis, les néoruraux y réinventent un mode de vie que le film documente, fondé sur le travail et la mise en commun des ressources. Après l’affaire de l’aéroport, ce sont les mégabassines de Sainte-Soline qui font l’actualité. En 2022-2023, Guillaume Cailleau, français, et Ben Russell, américain, passent un an avec les zadistes d’hier pour raconter la vie après la victoire.
On est loin des thèses d’Andreas Malm qui fait de l’ultraviolence, la seule réponse possible à l’urgence climatique dans le brûlot Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020). Chez les zadistes, le temps est à la reconstruction. En ouverture, un militant explore les innombrables dossiers de son ordinateur et montre aux cinéastes des vidéos prises lors des rafles policières des années 2010. Cortèges, chants et gaz lacrymogène constituent un imaginaire familier de l’activisme politique. Mais ces images appartiennent au passé, les zadistes ont gagné la bataille et les premiers plans du film exhumés de la mémoire collective sont teintés de nostalgie. En conjuguant la lutte politique au passé, Cailleau et Russell la déromantisent au présent. Les activistes sont désormais membres d’une organisation socio-économique rigoureusement définie. Autrement dit, la politique est devenue un faire. À la ZAD, on façonne du pain, les mains enfarinées roulent le pâton sur le plan de travail. On taille du bois aussi, on plante des oignons, on soude, on imprime des tracts. À la frénésie des luttes armées, Cailleau et Russell préfèrent l’examen d’un système de production et de résistance. Or, la compréhension intime de ce territoire et de ceux qui ont choisi de s’y établir requiert du temps. Le temps long du plan fixe devient la condition de l’immersion, au contraire d’une entrée par effraction sur un champ de bataille. Il faudra donc s’armer de patience puisque les séquences s’étirent indéfiniment, parfois silencieuses, entièrement consacrées à l’étude d’une tâche. Après la bataille, le temps de la paix consiste en l’édification d’un monde en harmonie avec les particularités du territoire et les êtres qui y vivent. Les ex-squatteurs se consacrent au travail agricole avec soin, donnant lieu à quelques scènes d’une grande douceur comme ce petit veau qui apprend à marcher le long d’un chemin terreux, accompagné par un homme et une femme qui le guident vers le champ où il pourra se reposer ; ou encore celle d’une truie caressée par une jeune femme qui réfléchit à voix haute aux techniques d’intimidation empruntées à l’art du marketing que la police utilise contre les militants.
Direct Action évite le fantasme du collectif en brossant le portrait d’individus qui coexistent.
Étrangement, Direct Action évite le fantasme du collectif en brossant le portrait d’individus qui coexistent. À l’écran, nous voyons surtout des gens seuls hormis quelques scènes de groupe comme un goûter d’anniversaire avec une ribambelle de gamins surexcités ou encore un concert de chanson française regardé depuis l’arrière-scène. La tablée ou la fosse sont des espaces où l’on se rencontre et se mélange au-delà même des discours politiques. D’ailleurs, le film est très peu discursif puisqu’il s’agit plutôt de poser un regard sur des hommes et des femmes dont l’existence est un choix politique qui engage des décisions quotidiennes. Les assemblées générales qui auraient pu donner une idée des enjeux de la démocratie participative ne sont pas filmées.
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Conjurer la violence
Dans les scènes collectives, personne ne semble prêter attention aux cinéastes à quelques rares exceptions. Contrairement à Wiseman qui se tient à une certaine distance de son sujet, Cailleau et Russell sont au plus près du matériau humain, de leurs mains et de leurs visages, au contact des choses. Ils ont séjourné dans le centre d’accueil ouvert pour les visiteurs de passage et rendent compte d’une expérience heureuse. Le titre du film invite naturellement à rapprocher leur démarche du cinéma-direct qui naît au Canada dans les années 1960, d’autant qu’il s’agissait déjà à l’époque de raconter une utopie politique. L’approche anti spectaculaire de Cailleau et Russell repose sur un dispositif d’une simplicité radicale : une caméra 16 mm est posée sur un trépied dans un rapport frontal au sujet, sans médiation ni regard idéologique. Les événements ou non-événements adviennent de manière imprévisible, c’est le présent immédiat qu’il s’agit de capturer, l’action contenant paradoxalement beaucoup d’inaction. Cette inertie sera brusquement contredite dans le dernier tiers du film lorsque les cinéastes documentent les affrontements entre militants et forces de police dans le contexte brûlant de l’opposition aux bassines de Sainte-Soline. Tout à coup, une voix de manifestante brise le silence de la sidération : « ce n’est pas cela qu’il faut filmer ». La violence ne reste pas hors champ du fait de son insignifiance mais par refus du sensationnalisme. Les choix de mise en scène sont clairs et cohérents, en accord avec une certaine éthique documentaire. Cependant, une question se pose. Faut-il « bisounoursifier » la représentation de la lutte armée en lui préférant le genre pastoral ? Sans pensée ni langage, que reste-t-il de l’utopie ? Notre-Dame des Landes n’est pas un havre de paix et un certain militantisme écologique continue de recourir à la violence. La neutralisation de la conflictualité politique dans le cinéma documentaire fait craindre la tentation du désengagement.
- Direct Action, un film de Guillaume Cailleau et Ben Russell, en salles le 20 novembre.
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