Des racines et des ailes

Dans le cadre du prix Jeunes metteur.se.s en scène du théâtre 13,  Zone Critique a pu découvrir 4211 kilomètres, une pièce relatant l’histoire d’une famille iranienne réfugiée en France après la révolution islamique.

Naissance composée

Dans une maternité parisienne, un jeune père annonce d’un ton dégagé à sa compagne que leur petite Nour qui vient de naître, a été déclarée sous son seul nom de famille parce que l’employée de mairie « trouve que Pereillat -Farhadi c’est trop long ». Yalda explose alors de colère à l’idée que sa fille soit privée de ce nom qui signifie tout pour elle. À ce cri de rage répond celui de douleur de sa propre mère, Mina, lorsqu’elle met au monde Yalda en France, où elle s’est réfugiée avec son mari Fereydoun, convaincu qu’ils retourneront bientôt dans leur pays natal, à 4211 km de là.

Identité(s) nationale(s)

Deux identités s’affrontent, certes, mais se nourrissent aussi dans une sorte de mouvement perpétuel.

C’est donc l’histoire du pays où l’on ne retourne jamais. Un pays que Yalda n’a jamais vu, mais où elle grandit pourtant, les pieds en France et la tête en Iran. Et pour le matérialiser, quoi de mieux que le théâtre ? Sur une scène parsemée de terre, délimitée par quatre cordes à linge reliée à des piquets, et seulement meublée d’une table basse et de tapis, figurant aussi bien un studio parisien qu’une prison iranienne, six comédien.ne.s incarnent les membres de cette famille résiliente et joyeuse, mais également celles et ceux restés à 4211 kilomètres de là : le père et la sœur bien-aimés de Nina, les camarades de lutte et les sinistres gardiens de la révolution. Récits parcellaires des parents, bribes de farsi, musique jouée par les nombreux amis de passage de la famille et bulletins d’information alimentent l’imaginaire de Yalda en se mêlant à sa culture française (rap, Ophélie Winter, quartier d’Évry et de la Défense…). Ses deux identités s’affrontent, certes, mais se nourrissent aussi dans une sorte de mouvement perpétuel, bien loin de la conception d’identité nationale figée de l’extrême droite (évoquée lors des élections de 2002) et des préjugés de l’entourage français de Yalda que l’autrice et metteuse en scène tourne en ridicule.

Les porteur.euse.s d’(H) istoires

La pièce s’émancipe de l’épisode historique pour livrer une réflexion universelle sur la famille, l’exil et la transmission.

Si la pièce n’échappe pas à un certain didactisme (questions posées par la jeune Yalda à ses parents sur l’histoire de la Révolution islamique et prise en charge, par la même Yalda du récit de leur vie en France en avant-plateau avec dates tapuscrites en fond de scène), il se dégage, de la part de l’autrice et metteuse en scène, une telle tendresse pour ses personnages que les spectateur.ice.s se laissent emporter par le rire et l’émotion. Car si 4211 kilomètres semble s’inscrire dans la lignée du roman graphique Persépolis de Marjane Satrapi avec également une narratrice pleine d’humour, à la fois exaspérée et émue par sa double identité, elle s’émancipe de l’épisode historique pour livrer une réflexion universelle sur la famille, l’exil et la transmission dans laquelle peuvent se reconnaître les descendant.e.s d’immigré.e.s d’autres origines. Comme Yalda à qui l’on suggère de changer son prénom lors de sa demande de naturalisation, la grand-mère de l’autrice de ces lignes, venue d’un pays en guerre civile dans les années 40, a vu le sien « francisé » d’autorité par son enseignante de primaire. Et comme pour Yalda, le récit des origines transmis par la première génération est lacunaire, fantasmé et immensément chéri… 4211 kilomètres est ainsi une belle façon de rendre hommage à tous les exilés, porteurs d’(H) istoires malgré eux.

Juliette Beau

  • 4211 kilomètres, une pièce écrite et mise en scène par Aïla Navidi et la Compagnie du Nouveau Jour au Théâtre 13, les 21 et 22 juin 2022.

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