David Spector : Pastiche mode d’emploi

David Spector propose de pasticher – ou de parodier, c’est selon – douze écrivains à partir d’une contrainte : l’action doit se situer durant une campagne présentielle française et la somme-plafond pour financer un parti politique doit être mentionnée. Publié chez Wombat, 7.500 € est un ouvrage réjouissant dont on espère qu’il pourra donner également le goût du pastiche à nos lecteurs.

L’ouvrage de David Spector, dont Pierre Jourde signe la préface, permet de revenir rapidement sur l’histoire du pastiche, un genre littéraire dont la fortune est assez mince aujourd’hui. Jusqu’au milieu du XXe siècle, le pastiche était un moyen pour un écrivain de faire ses gammes en imitant les Anciens. Ainsi, Boileau imite La Fontaine qui imite lui-même Horace. Plus récemment, l’école de la IIIe République a érigé le pastiche en exercice scolaire. Ainsi, en composition française, il était demandé aux élèves de rédiger des lettres, dialogues ou discours reprenant le « canon » littéraire. Par exemple, on exigeait des élèves d’être capables de rédiger une « Lettre de Madame de Sévigné à sa fille après la représentation du Misanthrope » ou encore d’imaginer le discours de Laïus à son fils Œdipe, ce qui – pour l’anecdote – a donné l’expression « faire un laïus ». Le pastiche est donc une manière de rendre hommage à un écrivain, de s’inspirer de son style pour rendre compte d’une façon d’écrire. Certains écrivains ont employé le pastiche à des fins surprenantes. Ainsi, Jean Gaulmier a écrit À la manière de 1942 publié aux éditions du Scribe la même année. Ce recueil avait pour objectif de rendre hommage à la littérature française tout en dénonçant la politique collaborationniste. Par exemple, reprenant un poème des Châtiments, Gaulmier s’exclame avec l’emphase hugolienne : « Hideux Pierre Laval lorsque vous empoignâtes / La France au col meurtri de vos mains auvergnates… ». L’exercice est plaisant et le courage admirable.

Le pastiche est donc à distinguer de la parodie dont l’enjeu est de tourner en ridicule un écrivain en amplifiant sa rhétorique jusqu’à la faire éclater. Ainsi, les textes de David Spector s’orientent peut-être davantage vers la parodie.

Extension du domaine du pastiche ?

           Parmi les douze textes qui composent 7.500 €, certains se distinguent par une forme de virtuosité potache tout à fait savoureuse

Parmi les douze textes qui composent 7.500 €, certains se distinguent par une forme de virtuosité potache tout à fait savoureuse. Par exemple, le lipogramme perecquien La Disruption reprenant l’affaire DSK, l’ascension de François Hollande puis celle d’Emmanuel Macron sans employer une lettre, ce « rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal », donne des passages truculents comme ce discours d’Emmanuel Macron : « Mon inclination, tu la connais : j’ai jamais pu souffrir nos prolos gaulois. Quand il faut voir un prolo, j’ai toujours droit à un baratin plaintif, sans imagination : son vilain patron, son fils sans travail qui a faim, son papa qui a froid dans un taudis, ou alors sa maman qui fait la putain pour avoir du pain. » Je suis d’autant plus sensible à l’exercice que je m’y suis moi-même essayé, dans le cadre d’une série de pastiches autour de la crise sanitaire.

De même, le pastiche de Carrère est traité avec brio. On y retrouve le narrateur qui envahit son sujet, la place toujours importante accordée aux amis et aux amours de l’écrivain, et son goût pour les oubliés de l’histoire – même s’ils sont davantage russes que tchèques. Enfin David Spector joue avec la mise en abyme que Carrère affectionne particulièrement. En effet, il est toujours question du roman en train de se faire au sein même du roman. Ici, Spector joue avec son propre titre : « En sortant du cabinet médical, j’ai pensé que je tenais enfin le titre du livre que vous êtes en train de lire. Celui que j’avais d’abord eu en tête, Sept mille cinq cents euros, était trop fade, et Le Nombril m’a paru faire l’affaire. » Dans un de nos pastiches, nous avions également parlé de l’auteur de Limonov mais en accentuant son amour du portrait plutôt que les intrigues politiques.

Enfin, le pastiche de Madame Bovary est tout à fait maîtrisé. Il reprend l’usage de l’imparfait et du conditionnel, que Perec avait lui-même sublimé dans Les Choses. De même, la critique de l’articulation du politique et du financier sous le mode de la satire par la syntaxe tel que Flaubert la pratique, notamment dans l’Éducation sentimentale lorsque Frédéric Moreau fait la tournée des clubs avant de se présenter aux élections de 1848, est bien retranscrit par David Spector. Ainsi, les bruissements de la salle du Conseil régional de Normandie suite au discours de M. Derozerays illustrent parfaitement le prêt-à-penser politique : « On s’interrogeait sur les causes du retard français et les moyens d’y remédier. Ce n’était pas qu’il y eût moins de start-ups qu’ailleurs, mais en France elles avaient trop souvent du mal à atteindre la taille critique. On accusa la frilosité des banques, celle des investisseurs, le système éducatif qui négligeait les soft skills, l’insuffisance ou au contraire l’excès de concurrence ; on blâma l’administration. » Flaubert est l’un des écrivains qui se prête le plus au pastiche peut-être justement grâce à cette forme d’ironie. D’ailleurs, certains passages de Leurs enfants après eux, roman de Nicolas Mathieu primé par le Goncourt en 2016, reprennent de nombreux effets flaubertiens.

Du côté de la parodie

Certains textes issus du recueil 7.500 € s’écartent volontairement du genre du pastiche pour embrasser celui de la parodie. Ainsi, il n’est plus question de respecter la rhétorique d’un écrivain – ou seulement pour s’en amuser – mais davantage de jouer avec le paratexte, le contexte et la situation pour amuser le lecteur.

Certains textes issus du recueil 7.500 € s’écartent volontairement du genre du pastiche pour embrasser celui de la parodie.

En ce sens, Frime et financement est une parodie de l’œuvre de Dostoïevski puisqu’elle se moque avec tendresse de la difficulté pour un locuteur francophone de retenir les noms des personnages russes ainsi que des diminutifs interminables. Ainsi, ce sont les notes de bas de page qui viennent provoquer les effets les plus comiques : « Sofronia Evgueievna est le même personnage que Sofronia Preobrajenskaia, dont le nom complet est Sofronia Evgueievna Preobrajenskaia. Sofronia Evgueievna et Sonia Preobrajenskaia sont donc une seule et même personne. » Ce texte joue également sur les fameuses petites phrases d’Emmanuel Macron comme lorsqu’il fait dire à Makronoff – dont le nom est assez transparent : « Tes aumônes te coûtent un pognon de bezoumnii. » Si ces références font sourire le lecteur, il est probable, et c’est le lot de toute parodie, qu’elles perdent de leur saveur au fil des années.

De même, En finir avec Édouard Louis parodie non pas l’œuvre de l’écrivain mais plutôt le dispositif du premier récit d’Édouard Louis. La pirouette est assez amusante mais manque cruellement de subtilité – même si ce n’est pas l’effet recherché.

Enfin, la reprise d’un roman de Marc Lévy, Lui et elle, confine davantage à la parodie – mais est-il possible de pasticher Marc Lévy ? La première édition du Jourde et Naulleau avait déjà chargé l’auteur de Et si c’était vrai ?  et Pascal Fioretto s’est également déjà attaqué à ce romancier, à tel point qu’on peut avoir un étrange sentiment de déjà lu tandis que l’œuvre de Guillaume Musso reste encore intacte. Pourtant, la parodie de David Spector n’en reste pas moins jubilatoire puisqu’elle propose de retourner l’œuvre de Marc Lévy contre elle-même en intégrant des citations authentiques (ou supposées) qui viennent émailler l’ensemble. Par ailleurs, certaines phrases réussissent à restituer toute la platitude des clichés : « Car en Amérique tout est plus grand : les rêves, les espoirs, les déceptions et le nombre d’étages des immeubles. »

Le recueil de David Spector s’inscrit donc dans une histoire assez fameuse qu’il prolonge et poursuit. Pour prendre du plaisir à la lecture d’un pastiche, il faut en connaître le style de l’auteur imité pour pouvoir mesurer l’écart entre l’original et la copie. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les pastiches ont moins de succès aujourd’hui. Néanmoins, David Spector, en jouant également sur des références politiques, rend son texte accessible à un plus large public. Enfin, je me permets de renvoyer le lecteur curieux aux pastiches que la rédaction de Zone Critique a écrit à l’occasion de la crise sanitaire !

Bibliographie :

Spector, David, 7.500 €, Wombat, 2022.


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